21 juin 2011
Adoption d'une devise européenne
Il y a quelques années, les grands pays d'Europe ont décidé d'avoir une monnaie commune. Ils ont chacun mis de côté les monnaies qu'ils utilisaient auparavant et se sont distribué des euros. L'Europe avait désormais une "monnaie unique". La Grèce et d'autres pays d'Europe furent intégrés pour créer une sorte de Fédération européenne. L'opération est chaque fois la même : la Grèce a rangé ses drachmes et reçu un montant considéré comme équivalent d'euros. Elle pouvait désormais acheter n'importe où dans la "zone euro" avec ses euros.
Les déficits grecs du budget et de la balance commerciale se sont poursuivis
L'Etat grec a néanmoins poursuivi sa politique économique qui consistait à dépenser plus qu'il ne recevait, et à imprimer des drachmes. Il s'agit en réalité d'une politique fiscale et monétaire où les rentrées d'impôts sont assurées par la planche à billets. Certaines sociétés méditerranéennes ou latines (Grèce, Italie, Espagne, Portugal, Argentine, etc.) préfèrent cela à la stabilité des prix, qui a d'autres avantages et d'autres inconvénients. L'Etat grec s'est mis à emprunter des euros. Les grands prêteurs européens (Société Générale, Deutsche Bank, etc.) se sont fait un devoir de prêter à la Grèce, car le taux d'intérêt était élevé, pour tenir compte du risque, et ils savaient qu'en fait l'Europe les rembourserait si la Grèce venait à ne plus les payer. En même temps les déficits du commerce extérieur se sont poursuivis. La Grèce a payé en partie avec ses exportations (tourisme, textile, minerai, etc.), en partie avec des promesses, mais en partie avec des euros, qui ont quitté le pays.
Menace d'un défaut de paiement
Maintenant la Grèce se rapproche d'un défaut de paiement sur ses engagements extérieurs, et l'Etat a de moins en moins d'euros pour payer les fonctionnaires et les retraités. L'Europe se demande que faire. On cause beaucoup. Devrions-nous suivre le credo libéral (laissons la Grèce faire faillite, achetons le Parthénon, le Pirée comme l'a pratiquement fait la Chine) ou bien agir comme une communauté (mais devrions-nous prendre le contrôle du gouvernement de la Grèce). Angela Merkel est contre une rallonge de prêts à la Grèce, Nicolas Sarkozy est pour, peut-être parce que la France n'est pas loin de la même situation.
Qu'est-ce qui va arriver ensuite ? - Une monnaie locale
Le gouvernement a commencé à réduire les salaires des fonctionnaires et les retraites. De plus en plus de Grecs n'ont plus d'euros pour vivre, et les boutiques et les producteurs locaux souffrent donc aussi. Mais là n'est pas le problème : quand dans une communauté il n'y a plus de numéraire (pour permettre la production, l'échange et la consommation), on en crée tout simplement. Ça devient une "monnaie locale", chose que les Etats (ou en l'occurrence l'Europe) voient d'un très mauvais oeil car la monnaie est l'un des piliers du pouvoir régalien. C'est arrivé dans d'autres régions du monde. Je prévois que ça arrivera en Grèce. Le gouvernement grec va commencer à payer les fonctionnaires et les retraités avec quelque chose qu'on appellera pudiquement "système temporaire de bons", et par commodité on écrira dessus le mot "drachme". Ils serviront à acheter des biens et services en Grèce, et ne pourront pas être refusés. Et si le gouvernement ne le fait pas, il est même concevable qu'une organisation privée le fasse.
Le point de vue des "experts", des prêteurs et des hauts fonctionnaires
Des "experts" poussent des cris d'orfraie : "la Grèce va sortir de l'euro", "c'est une catastrophe". Ils ne précisent pas pourquoi, et semblent préférer assister au déclin de l'activité économique grecque, à des manifestations violentes de rue et à l'installation de la pauvreté mais avec une politique budgétaire et fiscale rigoureuse au sein de la zone euro, plutôt qu'au redémarrage de la Grèce avec une politique monétaire adaptée. Les prêteurs sont inquiets, pour de bonnes raisons : il y a un risque qu'ils perdent de l'argent sur des prêts risqués ; pour être plus explicite, on risque de ne plus appliquer le principe "vos profits sont à vous, vos pertes sont à la charge de l'Europe". Et ils sont contre l'introduction d'une monnaie locale en Grèce, officiellement "car il faut continuer à construire l'Europe, etc.", en réalité car cette monnaie locale, qui relancerait l'économie grecque, rendrait plus aléatoire le remboursement intégral de la dette de 350 milliards en euros aux créanciers internationaux. Les hauts fonctionnaires jacobins de tous bords à Bruxelles et dans les grands pays sont indignés : "on défait l'Etat (et nos situations)". D'une manière générale, ils regardent l'avenir avec des schémas intellectuels du passé (Etats-nations, politique centralisée, construction d'un concurrent des Etats-Unis, etc.), comme, en 1920, les grandes puissances ont essayé de revenir à l'étalon-or d'avant guerre avec les conséquences catastrophiques des années 20 et 30.
La monnaie est un phénomène social spontané
Tout ce monde oublie que les phénomènes monétaires sont toujours et partout (pour paraphraser une formule célèbre) des phénomènes spontanés.
Que penser de l'opinion des banquiers
Les banquiers diront que ces idées sont absurdes et impossibles à mettre en oeuvre, mais ne te laisse pas impressionner. Ces dernières années, ces mêmes banquiers ont créé les prêts dits subprime, en ont fait des paquets, les ont découpés, titrisés, et revendus à des investisseurs dans le monde entier, et ces derniers ont finalement subi des pertes estimées par le FMI à quatre mille milliards de dollars.
L'avenir des Etats-nations et de la monnaie
Je pense que l'Europe à venir sera structurée en régions autonomes plus petites que les Etats-nations actuels. Chaque région aura deux monnaies, une fédérale, l'euro (ou plus vraisemblablement une nouvelle monnaie gérée par une entité privée plus responsable et fiable que les Etats), et une locale, chacune la sienne. Il y aura une redistribution des responsabilités entre les régions et ce qui restera des Etats. Par exemple dans notre pays, la France, l'éducation et la sécurité sociale seraient certainement mieux gérées localement que nationalement. C'est aussi le cas de la monnaie utilisée par les individus dans leur vie quotidienne. Mais tout ceci est une autre histoire.
Lire le même papier avec la compréhension courante de chaque paragraphe.
André Cabannes
cours de finance avancée
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