Cours de mathématiques de 6e

2. Les nombres et leurs notations (1) : petits cailloux et chiffres romains


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Comptage : Les nombres servent à compter. On peut compter le nombre de fruits dans un panier, le nombre de personnes dans une pièce, le nombre de kilomètres parcourus depuis le début d’un voyage, le nombre d’années entières qu’on a déjà vécues, etc.

Les hommes et les femmes savaient sans doute déjà compter jusqu'à quelques dizaines à l’époque néolithique (-10000 à -3000 avant J.-C.). Certains peuples n'avaient que trois mots pour les nombres : un, deux, et beaucoup. Notre mot "trois" a la même origine que "très" qui veut justement dire "beaucoup". Cela ne veut pas dire que les personnes qui n'avaient que un, deux et beaucoup pour compter, confondaient cinq moutons et six moutons, ou même quinze et seize moutons. Ils avaient plusieurs beaucoup, comme nous avons plusieurs infinis.

 

 

Mesure : Les nombres servent aussi à mesurer. Dans un premier temps, on a attaché des nombres à des positions ou quantités géométriques (hauteur, surface, etc.). Puis les hommes ont appris à attacher des nombres à d'autres phénomènes de la nature. Des choses simples : poids d'un objet, dimensions, température, orientation d'une boussole, etc. Puis des choses plus compliquées : vitesse d'un objet en mouvement, accélération, intensité d'un courant électrique, tension électrique, énergie cinétique d'une bille en déplacement, énergie potentielle contenue dans un ressort comprimé ou dans une caisse posée en équilibre précaire en haut de l'armoire, entropie d'un système (qui est une mesure de notre ignorance sur son état exact, et donc est une mesure un peu particulière puisqu'elle ne concerne pas seulement le système, mais notre rapport à ce système), etc.

La puissance extraordinaire de la perception du monde à l'aide des nombres et des structures mathématiques qui en résultent a de tout temps été une source d'étonnement pour les penseurs.

L'humanité a toujours utilisé un espace à trois dimensions, dit "euclidien", pour se représenter les positions. C'est l'espace ordinaire où il y a une droite, une gauche, un devant, un derrière, une hauteur, une profondeur, selon trois directions perpendiculaires.

Puis au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les physiciens se sont peu à peu rendus compte que les explications des phénomènes de la nature à l'aide de cet espace conduisaient à des contradictions subtiles, et ils ont été amenés pour certaines situations pratiques (par exemple la conception des systèmes GPS) à modifier la description fondamentale du monde dans lequel on vit.

Mais cela n'a pas éliminé l'interrogation sur la puissance extraordinaire des nombres pour comprendre, prévoir et agir sur le monde.

Pour terminer cette section sur la mesure, venant après celle sur le comptage, notons que mesurer c'est encore compter. Mais c'est compter des unités physiques de quelque chose dans une chose, par exemple le nombre de kilogrammes dans une grosse miche de pain. Compter comme dans la première section est plus abstrait : sept fleurs ne font pas une sorte de super fleur. En revanche 7 mètres font une distance plus longue.

 

 

À quoi servent les mathématiques ?

Nous sommes au début d'un cours de mathématiques sur plusieurs années.

On peut voir les mathématiques comme une discipline en soi, une sorte de vaste casse-tête plus ou moins amusant.

Des personnes ayant atteint l'éminence dans certaines disciplines dites littéraires, et à qui on a sans doute enseigné les maths comme un Rubik's cube, se targuent parfois "de ne rien comprendre aux maths". Elles rappellent cette dame se piquant de musicologie qui dans une mondanité disait à Gabriel Fauré : "Moi, je n'ai jamais aimé Brahms." Fauré lui répondit : "Mais Madame, cela n'a aucune importance."

Nous l'avons déjà dit dans la première leçon, nous pensons qu'enseigner les mathématiques comme une discipline en soi n'est pas la bonne façon de faire.

Les mathématiques sont un ensemble d'outils – plus ou moins intuitifs, plus ou moins formels –, démarrant avec les nombres entiers (0, 1, 2, 3, 4, etc.), pour décrire le monde dans lequel on vit et agir dessus.

On l'a vu, la nature se prête étonnamment à une description mathématique. Au collège et au lycée nous apprendrons les bases : les différents types de nombres, la géométrie, les équations (= devinettes où il faut trouver une valeur) et leurs résolutions, etc.

Nous commençons ici avec le premier outil de notre boîte : les nombres entiers. Ils nous serviront donc à compter et à mesurer.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les nombres entiers ont déjà un grand nombre de propriétés jolies, intéressantes et pas évidentes qu'il est bon de connaître – au moins les plus simples mais déjà pas évidentes d'entre elles – pour les utiliser pas seulement en appliquant des règles sans se poser de questions, mais les utiliser avec aisance et intelligence.

Cela demandera de déconstruire un peu ce qu'on a appris sur les nombres à l'école primaire car trop souvent on nous y a enseigné seulement des règles qui ont conduit à obscurcir la différence entre les nombres et leur notation en chiffres arabes. Quand on ne dépasse pas cette vision "quand le doigt montre la lune, regarder le doigt", on ne peut pas aller très loin, et toute sa vie on considèrera les maths comme une discipline difficile, ésotérique et rebutante.

L'ambition de ce cours est de vous montrer au contraire que les mathématiques sont belles, naturelles et utiles. Elles sont l'une de plus belles créations de l'esprit humain.

 

 

Qu'est-ce "compter" que veut dire ? Cette question anodine a préoccupé les mathématiciens au XIXe siècle. Ce sont des gens qui aiment bien avoir, pour toutes leurs notions, une compréhension aussi claire et fondamentale que possible, et plus ferme que simplement "ce qu'indique le bon sens".

Ces mathématiciens ont déterminé que "compter" des choses voulait dire "les mettre en correspondance exacte (on dit biunivoque) avec des ensembles particuliers qu'on connaît bien". Ces choses, si elles sont au plus cinq, peuvent être mises en correspondance avec des doigts de la main, ou, si elles sont au plus dix, des doigts des deux mains. C'est encore comme cela que la plupart du temps on procède quand on veut compter des gens dans un groupe, des bateaux dans un port, ou des oiseaux sur un fil électrique. Quand le nombre d'objets qu'on veut compter est plus grand, on peut utiliser des astuces de groupage, par exemple par cinq comme dans le dépouillement d'une élection, ou par dix.


ensemble de sept objets

On peut aussi utiliser des ensembles de petits cailloux. Si dans un groupe qu'on veut compter on peut mettre les objets en correspondance exacte avec un ensemble de sept petits cailloux, ou bien avec les doigts d'une main et encore deux de l'autre, eh bien on dit qu'il y a sept objets.

En résumé, le nombre sept est une caractéristique partagée par différentes collections de choses. On l'appelle leur "cardinal", ou de manière plus informelle "le nombre d'objets qu'elles contiennent".

Noter comme cette vision dénote déjà une capacité d'abstraction remarquable : on ne prête plus attention à ce que sont les choses elles-mêmes, mais à une propriété à la fois évidente et dégagée de toute matérialité.

Toutes les espèces animales ne savent pas distinguer cette proto-notion de quantité et exercer un choix en fonction d'un nombre.

 

En outre, ces ensembles présentent un ordre. L'ensemble avec huit petits cailloux vient juste après celui avec sept. Il n'y a pas d'îlot ou de boucle indépendants. En partant de 0 et en rajoutant 1 un nombre suffisant de fois, on atteint n'importe quel nombre, et on n'en omet aucun (formellement cela s'appelle "l'axiome de récurrence des nombres entiers"). Ce n'est pas le cas de toutes les structures munies de la fonction "suivant". Sur deux grandes roues de foire, la fonction "suivant" appliquée aux nacelles d'une des grandes roues ne conduira jamais à l'autre.

Tout cela paraît bien compliqué pour une opération qu'on connaît si bien : compter. Il n'est pas inutile cependant parfois de s'interroger en essayant d'avoir un regard neuf sur des choses qui nous paraissent très simples et bien connues. Mais revenons à l'histoire.

 

 

 

 

Aux environs de 3000 avant J.-C. au Moyen-Orient est apparue l’écriture, c’est-à-dire la notation de ce que l'on disait. Dans certaines civilisations l'écriture est faite avec des signes des mots, dans d'autres elle a évolué vers des signes des sons qui s'est avéré beaucoup plus souple (*), voir leçon apprendre à lire. Vers la même époque que l'invention de l'écriture s’est posé le problème de la notation des nombres.

La notation la plus naturelle des nombres, comme l'origine de n'importe quel système de signes, reste ce qui est aussi l'une de leurs représentations les plus naturelles, avec des petits cailloux. Calcul vient de "calculus", qui est un mot latin signifiant "petit caillou".

Avec des petits cailloux, avant tout système de notation plus élaboré, on peut déjà faire des calculs. Si on met ensemble deux cailloux et trois cailloux, on constate qu'on obtient l'ensemble fait de cinq cailloux. C'est l'opération d'addition de deux et trois.

On peut aussi faire la nouvelle opération suivante : prendre un certain nombre n d'ensembles identiques ayant chacun p petits cailloux, les mettre tous ensemble, et les compter. C'est l'opération de multiplication de p par n. On la note n x p, et on lit "n fois p". Par exemple, deux fois trois cailloux donne six cailloux.

Certains nombres peuvent ainsi être réorganisés en groupes identiques. On les représente par exemple en rectangles de plusieurs rangées identiques. Douze est constitué de deux fois six, mais aussi de trois fois quatre. D'autres nombres, comme treize, ne peuvent pas être réorganisés en plusieurs rangées identiques.

Là encore, toutes les notions introduites de manière intuitive ci-dessus peuvent être énoncées dans une axiomatique, c'est-à-dire un ensemble de choses et de règles abstraites définissant les nombres entiers. Et cette axiomatique, de manière surprenante, conduit à des résultats stupéfiants comme le théorème de Gödel, ou l'indécidabilité de l'hypothèse du continu. Ce sont des résultats pour les études supérieures. Mais il est bon de savoir que les nombres entiers, aussi évidents et intuitifs soient-ils, conduisent à des mathématiques qui sont loin d'être évidentes.

 

 

Transportons-nous quelques milliers d'années plus tard, et regardons les "chiffres romains". Pour noter les nombres, les Romains utilisaient les sept signes I, V, X, L, C, D et M.

I = un, V = cinq, X = dix, L = cinquante, C = cent, D = cinq cents, et M = mille. Pour lire le nombre représenté par un ensemble de signes élémentaires, il faut appliquer la règle suivante : si les signes décroissent de gauche à droite, il faut les additionner (VI = six, CL = cent cinquante, etc.) ; si un signe est suivi d'un plus grand alors il doit être retranché de ce dernier (IV = quatre, MCM = mille neuf cent, etc.).

On voit que ces règles étaient un peu compliquées. Cinquante-sept était noté LVII. Treize était noté XIII. Des règles supplémentaires permettaient de déterminer que quarante-huit était noté XLVIII et non IIL, quatre-vingt-dix-neuf était noté XCIX et non IC, etc.

Ce n'était pas non plus très commode pour faire des calculs. Ainsi, il faut faire un effort important (ou utiliser discrètement un autre système) pour trouver que LVII multiplié par XIII est égal à DCCXLI.

Ce qu'il faut retenir de ces considérations : une fois que l'on a conçu les nombres (représentés par exemple par des collections croissantes de petits cailloux), il faut encore mettre au point un système de notation. Et ce système de notation doit permette de faire facilement des opérations simples.

Il faut comprendre que nos nombres sont plus fondamentaux que leurs notations, lesquelles sont multiples, la notation romaine n'est que l'une d'entre elles. Et ce n'est pas la meilleure ! On a vu dans les exercices de la leçon précédente des notations avec des couleurs qui conduisent rapidement aussi à de la complexité. On a vu enfin un premier système, plus simple que les couleurs, de notation positionnelle avec trois symboles. Dans les exercices de la leçon présente on effectuera quelques opérations avec les chiffres romains.

Tout cela n'a pas empêché les Romains d'être de fabuleux ingénieurs. Ils ont construit par exemple l'aqueduc qui va de Uzès à Nîmes, en passant par le Pont du Gard, et qui a une déclivité de 12 mètres sur 50 km. Ils utilisaient vraisemblablement des niveaux d'eau fabriqués à l'aide de tuyaux très longs mettant en communication des vases pour mesurer l'horizontalité. Et chaque kilomètre ils s'assuraient que leur construction avait baissé de 24 centimètres.

Ceci va néanmoins nous amener à un autre système de notation des nombres : les chiffres dits "arabes".

 

Plan général du cours

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* Pour s'assouplir l'esprit avant de commencer l'étude des mathématiques, voici une petite digression sur les signes notant les mots et les signes notant les sons.

L'écriture notant les sons est plus souple que celle notant les mots ou idées (idéogrammes). Les Chinois, qui utilisent les idéogrammes, ont même inventé au XXe siècle la notation pinyin, notant les sons, pour faciliter l'apprentissage de leur langue par les étrangers et les écoliers chinois. Des sinologues occidentaux comme Marcel Granet pensaient que les idéogrammes étaient une écriture enfantine montrant un développement civilisationnel inachevé. Rien n'est plus éloigné de la réalité.

L'écriture notant les idées, avec laquelle nous ne sommes pas familiers en Occident, est plus compliquée à apprendre et maîtriser que celle notant les sons, mais elle présente un gros avantage. Par exemple le signe 山 signifie la même chose (montagne) en japonais et en chinois. Mais il est prononcé différemment, "yama" en japonais et "shan" en chinois de Pékin. Si bien que les Japonais et les Chinois ne se comprennent pas quand ils se parlent. Ils peuvent cependant communiquer entre eux en faisant des petits dessins avec l'index d'une main dans la paume de l'autre.

De même, en Chine, il existe de nombreuses langues parlées différentes (mandarin, cantonais, shanghaïen, etc.), dont les locuteurs ne se comprennent pas entre eux, mais qui utilisent la même écriture et même la même langue écrite ou des langues très proches. C'est la raison pour laquelle les émissions télévisées en Chine sont en général sous-titrées avec la langue écrite commune de toute la Chine afin que chacun puisse suivre.

Une autre conséquence inattendue est qu'il est aussi facile de lire de la poésie chinoise de l'époque Tang (VIIe, VIIIe et IXe siècles) que le journal de Pékin d'hier, alors que le déchiffrement des serments de Strasbourg entre des petits fils de Charlemagne, qui datent du IXe siècle, est impossible pour un Français d'aujourd'hui sans des années d'études.