Comptabilité générale
III. 9. Pourquoi la comptabilité en partie simple, comme dans notre chéquier, est insuffisante
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Avec cette leçon nous entrons dans les aspects techniques de la comptabilité. Pour comprendre en quoi consiste la comptabilité en partie double, commençons par examiner la façon dont nous tenons notre chéquier personnel.
Dans notre chéquier personnel, nous faisons des enregistrements qui sont de la comptabilité en partie simple : nous écrivons des chèques et nous notons après chaque chèque ce que nous avons payé et notre nouveau solde à la banque – c'est-à-dire que nous écrivons un "enregistrement" – soit sur le talon qui accompagne le chèque, soit sur le livret qui est à la fin du chéquier. Dans la suite, nous supposons que nous faisons ces écritures sur le livret à la fin du chéquier.
Cette comptabilité rudimentaire est suffisante pour la tenue des comptes d'une personne privée, mais elle ne l'est pas pour une entreprise.
Avec un exemple très simple, voyons comment elle peut conduire à des difficultés.
La disposition habituelle des pages du livret à la fin de notre chéquier est présentée ci-dessous. Les talons fonctionnent essentiellement de la même manière. Les cinq colonnes sont : numéro, date, description, montant, et solde.
Quand nous ouvrons un nouveau chéquier, nous reportons tout d'abord au début de son livret le dernier solde calculé à la fin du chéquier précédent, c'est-à-dire l'argent qu'il nous restait à la banque, s'il n'y a pas eu d'autres entrées ou sorties entre temps. Supposons qu'il nous restait 250 €.
Ensuite nous notons – c'est-à-dire, nous "enregistrons", pour parler comme les comptables – les chèques à mesure qu'on les faits, et nous suivons aussi l'évolution du solde :
Une entrée non standard : de l'argent reçu de Mamie
Supposons que le 14 octobre, notre grand-mère nous envoie 60 €, et que nous versions cette somme sur notre compte en banque.
Le livret du chéquier n'est pas exactement fait pour cela, mais ce n'est pas un problème d'y reporter aussi de l'argent qui rentre. Après le chèque n° 102, nous inscrivons sur la ligne suivante les 60 € reçus de Mamie, avec la date et une brève description de ce dont il s'agit. Nous spécifions avec un signe + qu'il s'agit d'argent à ajouter au solde.
Puis nous continuons à enregistrer les chèques que nous écrivons.
Voici maintenant une autre entrée non standard : le 16 octobre nous effectuons un travail pour notre ami Pierre, pour un montant de 80 €, mais il nous paiera seulement à la fin du mois.
Peut-on traiter cette entrée comme les 60 euros de Mamie ?
Réponse : Non.
En effet si dans la ligne sous le chèque n° 103 nous écrivions +80 € dans la colonne montant et 292 € dans la colonne du solde courant, nous aurions une vue erronée de ce que nous avons à la banque.
Mais si nous ne notons rien, nous omettons aussi que de la valeur est arrivée et a augmenté d'une certaine manière ce que nous avons.
Alors nous laissons les colonnes "montant" et "solde" vides, et faisons une note dans la marge : "sera payé le 31 octobre".
Illustrons le même problème avec un autre exemple symétrique du précédent : supposons que le 20 octobre soit le terme pour le loyer. Nous devons payer 250 € au propriétaire. Mais nous n'avons pas l'argent à la banque. Si nous lui envoyions notre chèque et qu'il cherchait à le toucher tout de suite il découvrirait que c'est un chèque en bois.
Nous lui envoyons donc notre chèque n° 104, en lui demandant toutefois de ne pas le toucher avant la fin du mois, car alors nous aurons l'argent (puisque Pierre nous aura payé).
En attendant, nous faisons une autre note dans la marge à côté du chèque n° 104 : "demandé au propriétaire de le conserver jusqu'au 31 octobre".
Prenons un peu de recul et regardons où nous en sommes : parfois nous payons ou recevons de l'argent ; dans ce cas-là les enregistrements dans le livret ne posent pas de problème. Et parfois nous recevons ou donnons de la valeur, mais qui n'est pas de l'argent, auquel cas nous ne pouvons pas enregistrer les montants dans la colonne "montant" ni modifier la colonne "solde".
Ce que nous faisons alors est par exemple une entrée partielle, en laissant les deux dernières colonnes vides, et nous notons dans la marge que de l'argent va rentrer ou sortir à telle ou telle date.
Les marchands italiens des XIIIe et XIVe siècles dans le nord de l'Italie, et tous ceux des grandes foires médiévales, avaient exactement le même problème. Parfois ils recevaient des promesses. C'était de la valeur, mais pas de l'argent. C'était particulièrement vrai depuis que – vous vous rappelez – les lettres de change avaient été introduites car elles étaient beaucoup plus pratiques et sures que les métaux précieux (le "vrai argent" de l'époque).
Les marchands qui recevaient ces promesses les envoyaient à leur banquier. Et les banquiers faisaient entre eux des calculs de compensation, pour déterminer combien d'argent restait dans le compte de chacun de leurs clients en tenant compte des effets commerciaux que chaque marchand avait reçus ou donnés.
Ce que firent les marchands italiens, pour enregistrer les promesses reçues ou données qui n'étaient pas de l'argent, était très simple : ils notèrent la valeur entrant sous forme de promesse de paiement de la part de leurs clients sur une autre page que la page servant à compter l'argent dans la caisse. Et ils firent de même sur une troisième page pour les promesses de paiement données.
Dans la leçon suivante, nous allons voir comment on écrit sur ces autres pages, c'est-à-dire comment "on tient ces comptes".