Comptabilité générale
IX. 36. Analyse des documents comptables sur plusieurs années
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Dans cette leçon, nous commençons à utiliser les documents de fin d'année (compte de résultat et bilan) pour évaluer la performance d'une entreprise sur plusieurs années, avec pour objectif d'évaluer aussi ses perspectives d'avenir.
Nous allons étudier une entreprise sur deux années (année 1 et année 2), venant après sa première année d'existence.. Donc les cinq documents que nous allons considérer sont :
- bilan au début de l'analyse
- compte de résultat de l'année 1
- bilan de l'année 1 (qui est aussi le bilan au début de l'année 2)
- compte de résultat de l'année 2
- bilan de l'année 2
Quand elle est bien gérée, une entreprise est un outil de création de valeur (en langage populaire, c'est "une machine à sous"). Nous allons voir comment.
Consultons et interprétons le bilan au début de notre analyse sur deux ans. Soulignons encore une fois que l'année 1 de notre analyse n'est pas la première année d'existence de l'entreprise (sinon ce bilan initial serait vide).
L'actif du bilan montre la structure de tous les outils que possède l''entreprise pour produire de la valeur. Nous voyons des "immos brutes" (= immobilisations brutes) de 350, et des immos nettes de 200, c'est-à-dire les immos brutes diminuées des amortissements cumulés.
Le passif montre comment tous ces actifs sont financés.
Nous allons rentrer dans les détails ci-dessous.
Notez que l'entreprise peut disposer encore d'autres outils loués qui n'apparaissent pas au bilan. (Les seuls "outils loués" qui apparaissent au bilan sont les emprunts d'argent qui apparaissent au passif, mais ne se voient plus à l'actif, car ils ont été utilisés pour toutes sortes de dépenses.)
Immobilisations :
Les immobilisations incorporelles (ou actifs incorporels) sont les brevets que l'entreprise a acquis dans le passé, les marques qu'elle a pu acheter, les dépenses légales et juridiques de création de l'entreprise, qui dans la plupart des pays ne sont pas comptabilisées en charges de la première année, mais sont "capitalisées", c'est-à-dire traitées en actifs. En d'autres termes, les dépenses de création (honoraires d'avocat, annonces légales dans les journaux, etc.) sont enregistrées dans le grand livre dans des comptes de bilan.
On compte aussi dans les incorporels le "goodwill", c'est-à-dire la "survaleur" que l'entreprise a éventuellement payée pour une autre entreprise, comparée à la valeur de cette acquisition dans ses propres comptes.
L'entreprise dans notre exemple possède des terrains, des bâtiments, des machines, des véhicules. Ces trois derniers type d'actifs sont progressivement amortis, tandis que les terrains ne sont jamais amortis en comptabilité.
Rappelez-vous que les actifs sont enregistrés au bilan à leur coût d'acquisition, qui peut être ou ne pas être leur valeur actuelle. C'est particulièrement vrai des terrains.
Les titres financiers à long terme (LT) sont des titres de propriété que possède l'entreprise sur d'autres entreprises, par exemple des filiales, ou bien d'autres avoirs financiers que l'entreprise a l'intention de conserver plusieurs années.
Actif circulant :
C'est le nom donné à l'ensemble des actifs autres que les immobilisations. L'acfit circulant comprend les stocks, le papier client, les titres financiers à court terme (CT) (appelés aussi "valeurs mobilières de placement", c'est-à-dire de la trésorerie mise au travail pendant qu'elle ne sert pas), et les comptes de banque et de caisse, que j'ai englobés en un seul solde.
Passif :
Le passif montre comment les actifs sont financés.
Il est important de bien comprendre cette façon de regarder les engagements de l'entreprise vis à vis du reste du monde. L'entreprise (= les actifs) est financée avec trois catégories de passif :
- la première source de financement est les actionnaires avec le capital initial et les résultats qu'ils décident de laisser dans l'entreprise. Les résultats laissés dans l'entreprise s'appellent "l'auto-financement".
- les dettes "payantes", c'est-à-dire l'argent emprunté à long terme soit auprès de banques soit directement sur les marchés financiers (marchés obligataires ou autres) et qui est rémunéré avec des intérêts annuels.
- les dettes "gratuites" : les fournisseurs et d'autres créanciers offrent en réalité du financement gratuit à l'entreprise, puisqu'elle ne rémunère pas ces crédits.
Terminologie : Nous avons utilisé la terminologie qui nous semble la plus explicite. Il y en a d'autres pour parler des mêmes concepts. Ainsi l'ensemble des sources de financement s'appellent aussi "les ressources", tandis que l'ensemble des actifs s'appellent aussi "les emplois".
Compte de résultat de l'année 1 :
Ce document nous est déjà familier.
La partie supérieure montre les ventes, le calcul du CAMV (ici 470) et donc de la marge brute (ou "commerciale").
Ensuite, jusqu'à la ligne "résultat opérationnel", nous avons les charges opérationnelles. Ce sont les coûts nécessaires pour faire tourner l'entreprise, et que l'on peut clairement mettre en regard des ventes de l'exercice. Les trois premiers s'appellent les "coûts cash" (même s'ils ont été payés seulement avec des promesses), et les amortissements s'appellent les "coûts non cash" (mais à un moment ou à un autre du passé, ou de l'avenir, ce sont des dépenses en cash)..
Sous la ligne du résultat opérationnel viennent les intérêts financiers qui dépendent seulement de la structure du passif. Si l'entreprise n'avait pas de dettes payantes (car elle était entièrement financée par des capitaux propres et des dettes commerciales) elle n'aurait pas d'intérêts à payer. Ici les intérêts sont de 7. C'est en quelque sorte le "loyer" pour disposer pendant un an des 100 d'emprunt à LT.
Finalement il y a les impôts sur les bénéfices qui sont calculés sur le résultat opérationnel - les intérêts. Le taux dépend des pays, des périodes, des secteurs économiques, de la volonté des pouvoirs publics d'aider tel ou tel secteur, etc.
On dit que "les intérêts financiers sont une charge avant impôts", car ils ne font pas partie du résultat sur lequel les impôts sont calculés. Le résultat qui a servi à calculer les impôts était de 63. Les dividendes, eux, sont une dépense après impôts.
Année 1 :
(Pour les besoins de l'analyse, ce qui dans la leçon précédente était "l'année dernière" est devenu maintenant "il y a deux ans".)
Regardons les bilans au début et à la fin de l'année 1 et le compte de résultat intermédiaire dans cette présentation plus succincte.
Bilan année -1 Compte de résultat année Bilan année
Nous voyons que les valeurs brutes des bâtiments et des machines se sont accrues chacune de 25. Faisons l'hypothèse que l'entreprise, dans cet exemple, n'a vendu aucun actif durant l'exercice. Alors ces accroissements des immos brutes correspondent à des investissements dans les bâtiments et les machines.
Les amortissements cumulés sont passés de 150 à 200. La différence de 50 peut être vérifiée dans le compte de résultat de l'année.
Les stocks sont passés de 100 à 130. Cela peut être une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle, selon le secteur d'activité de l'entreprise. Nous comparerons les stocks et le CAMV dans la leçon 43 sur les ratios de performance.
Idéalement les stocks devraient être aussi faibles que possible, car ils doivent être financés comme le reste. Mais quand ils sont trop bas, ils peuvent nous conduire à rater des ventes. Cela dépend encore une fois du secteur économique. Dans la joaillerie un stock de grande valeur est une bonne chose, bien que ce soit encore mieux si c'est possible qu'il soit prêté par les fournissseurs de bijoux. En épicerie, vous ne voulez pas avoir un stock trop élevé, en tous cas en produits frais.
La ligne clients est passée de 160 à 200. En général les ventes comptant sont préférables aux ventes à crédit, mais si les clients à crédit sont de bons clients nous voulons les conserver et un solde client important n'est pas nécessairement mauvais signe. (Notez que pour toutes sortes de raisons, internes et externes, les Etats exportent beaucoup à crédit.) D'un autre côté, si ces ventes à crédit sont des ventes désespérées à des clients qui ne paieront jamais c'est mauvais signe.
Au passif, les résultats cumulés conservés dans l'entreprise sont passés de 50 à 70. Cela correspond au chiffre 20 de résultat annuel non distribué.
Durant l'exercice l'entreprise a emprunté de l'argent sur les marchés financiers sous forme de vente d'obligations. Le compte est passé de 0 à 50. Le compte d'emprunts bancaires à LT n'a pas changé (ce qui veut dire qu'on n'a pas remboursé, en net, de capital).
Le solde des autres créanciers a un peu évolué. Nous verrons dans les leçons sur les ratios, ce qu'il faut penser du montant de ce solde. Idéalement, nous voulons qu'il soit élevé car c'est du financement gratuit. Mais si vous payez vos fournisseurs avec des délais excessifs, vous pouvez finir par les perdre. (Ils peuvent vous dire qu' "ils ne sont pas des banques".)
Ces bilans et ce compte d'exploitation sont seulement des synthèses. Ils ne montrent pas toutes les transactions de l'année. Ils nous aident à voir les grandes évolutions, et identifier éventuellement des problèmes. Quand nous voulons comprendre plus en détail l'évolution de tel ou tel poste, nous devons revenir au grand livre des comptes.
L'analyse de l'évolution du compte de caisse et banque, qui est le résultat de toutes sortes de transactions, est le sujet du "document de cash flow". Nous l'étudierons dans les leçons 40 et 41.
Année 2 :
Voici la présentation synthétique des comptes sur deux ans.
Bilan année -1 Compte de résultat année Bilan année Compte de résultat année Bilan année
Continuons d'examiner l'évolution des postes un par un au cours de la deuxième année.
Compte de résultat
Les ventes sont passées de 800 à 1000. A priori c'est une très bonne nouvelle. La marge brute, qui était de 41,25% des ventes, est maintenant de 42%. Pas de problème ici.
Le résultat net est de 60.
Notez qu'un résultat net positif n'est pas en soi suffisant pour conclure que l'entreprise se porte bien. Cela dépend de la façon dont on a atteint ce résultat. Si c'est avec des opérations saines, c'est bien. Si c'est en taillant de manière brutale dans toutes les dépenses (créant des problèmes pour l'avenir), c'est moins bien.
Bien qu'on enregistre autant que possible, pour un exercice donné, seulement les ventes et les coûts qui lui correspondent, les dépenses d'un exercice donné ont quand même une influence sur l'avenir.
Le résultat peut aussi provenir d'une rentrée d'argent ou de valeur exceptionnelle, comme par exemple la vente d'un terrain avec une forte plus-value, etc. Mais dans cet exemple, nous avons fait l'hypothèse que l'entreprise n'a vendu aucun actif immobilisé.
Bilan
L'entreprise a à nouveau investi dans les bâtiments (+25), dans les machines (+25) et dans les équipements de transport (+25).
Les stocks sont passés de 130 à 50. Quand nous étudions les comptes d'une entreprise, et que nous voyons une telle évolution, nous devons nous demander pourquoi ? Ça peut être le signe d'une meilleure gestion des stocks (voir leçon 44). Mais ça peut aussi être le signe que l'entreprise n'a plus les moyens de fonctionner normalement et "vit sur son stock". Seul une analyse plus fine des documents de l'entreprise, une visite des locaux et des conversations avec ses responsables peuvent répondre à nos questions.
Le solde du compte client a à nouveau augmenté, passant de 200 à 270. Là encore, pourquoi ? Est-ce parce qu'on vend désespéremment à des clients non solvables (voire à des entités fabriquées dans le cadre de la comptabilité créative), ou bien le signe d'un fort développement. Ici aussi seul des analyses plus approfondies permettent de répondre à cette question.
Dans les leçons sur les ratios, nous comparerons le solde client à d'autres mesures de l'entreprise pour évaluer sa santé.
Il n'y a pas d'évolution notable du passif.
Quand on gère une entreprise, il est nécessaire de prêter attention à l'environnement.
Les rapides analyses présentées ci-dessus, pour commencer à apprendre à utiliser les comptes de fin d'année, voir comment l'entreprise se porte, où sont les problèmes éventuels, ne doit pas nous conduire à penser que l'examen des documents internes de l'entreprise est suffisant pour se faire une idée de sa santé et de ses perspectives.
Nous devons aussi regarder son environnement :
- marchés
- parts de marché
- concurrents
- comptes des concurrents
- organisation des concurrents : ventes, production
- choix technologiques (produits, et process de production)
- etc.
Chaque entreprise est en général en concurrence sur plusieurs marchés. Dans le vocabulaire de la stratégie, on appelle ses domaines d'activité plus ou moins séparés des "segments concurrentiels". Ce sont des "arènes", des "champs de bataille", des "espaces concurrentiels" distincts. Les concurrents n'y sont pas les mêmes, les règles concurrentielles à maîtriser et les compétences à avoir non plus. Si on aime le jargon des business schools américaines, on parlera de "key success factors", facteurs clé de succès.
Gérer une entreprise consiste d'une manière essentielle à être en concurrence avec d'autres acteurs, d'autres entreprises.
Il est important d'avoir autant d'information que possible sur eux. Les sources accessibles sont :
- les études de marché, vendues par des entreprises spécialisées (par exemple Nielsen, mais il y en a beaucoup d'autres).
- les comptes publiés des concurrents (ils sont bien sûr très globalisés par la comptabilité générale, alors que nous voudrions avoir accès à leur comptabilté analytique, qui n'est pas publique)
- entretiens avec les clients, les fournisseurs, les syndicats professionnels, les revues professionnelles, les organismes de régulation, etc.
- entretiens avec les concurrents : parfois ils acceptent même de nous rencontrer, lors des foires professionnelles ou dans des entretiens privés