Par Sylvain Cypel, correspondant à New York
Les événements vont vite..." constatait George Bush, vendredi 14 mars, devant le Club économique de New York. Il faisait référence aux "difficultés" économiques et financières qui s'amoncellent aux Etats-Unis. Mais la Réserve fédérale (Fed) "a les choses en main", a assuré le président américain. Il a demandé de "laisser du temps" aux marchés, qui sont "en train de se corriger", pour sortir le pays de ce qu'une majorité d'économistes nomment désormais "une récession".
Prudential Bache
En 1980, la Fed, alors présidée par Paul Volcker, avait poussé un
consortium bancaire à fournir une ligne de crédit de 1,1 milliard de
dollars aux frères Hunt, dont les spéculations sur le marché de
l'argent menaçaient de faire chuter le courtier Prudential Bache.
LTCM
Fin 1998, la Fed de New York avait convoqué les patrons des plus
grandes banques de Wall Street pour les forcer à sauver Long Term
Capital Management (LTCM), le fonds d'investissement spéculatif dont
la faillite menaçait le système financier mondial. 3,5 milliards de
dollars avaient été nécessaires pour dénouer les positions du fonds
sans trop de dégâts.
Mais pour Bear Stearns (BSC), la cinquième banque d'affaires américaine, dont plusieurs dirigeants assistaient à l'allocution, le temps est compté. Vendredi, à sa demande, la Fed lui a consenti une ligne de crédit sur vingt-huit jours, d'un montant non précisé, pour lui éviter la cessation de paiement à court terme. Alan Schwartz, son PDG, qui a sollicité cette intervention exceptionnelle, a reconnu que sa trésorerie s'était "détériorée de manière significative" et que, confronté au flux de retraits de liquidités de ses clients, il ne pouvait "continuer normalement (ses) opérations" sans une injection immédiate de fonds.
L'urgence était telle que Bear Stearns n'a pu attendre le 27 mars, date à laquelle elle aurait pu emprunter "normalement" auprès de la Fed, conformément à ses dispositions récentes. Elle n'avait simplement "plus assez d'argent pour allumer la lumière ce matin", a commenté Carl Lantz, stratège au Crédit suisse.
Le crédit sera versé à Bear Stearns par l'intermédiaire de la banque JP Morgan Chase. Mais il est garanti par la Fed en cas d'insolvabilité. Pour mener ce sauvetage en urgence, celle-ci s'est appuyée sur une clause de la loi sur la banque centrale adoptée en 1932, lors de la grande dépression.
C'est la première fois depuis quarante ans que la Fed y a recours. Deux jours avant, sur la chaîne CNBC, M. Schwartz n'évoquait aucun problème de liquidités et conjurait les investisseurs d'ignorer les "rumeurs" concernant Bear Stearns. Le meilleur moyen, sans doute, d'accréditer ces mêmes rumeurs - car la plupart des observateurs sont désormais convaincus que les dirigeants des grandes banques ont maquillé l'ampleur réelle de leurs pertes.
Bear Stearns, "plombée" par ses détentions massives d'obligations adossées aux crédits hypothécaires à risque (subprimes), est-elle menacée de faillite ? Oui, si les épargnants exigent massivement de récupérer leurs avoirs. "Cela n'arrivera vraisemblablement pas", estime Dan North, chef économiste d'Euler Hermès, filiale américaine d'Allianz, pour qui l'action de la Fed lui permettra d'encaisser le coup. En revanche, "Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, lorgnait depuis longtemps sur Bear Stearns. Il devrait la racheter."
JP Morgan, dans un communiqué, indique qu'elle "travaillera de près avec Bear Stearns pour sécuriser son financement ou trouver une alternative". En termes crus : la mettre en vente, et sans doute l'acquérir. Ses équipes étudieraient déjà les comptes en vue d'une offre. Bear Stearns, elle, a fait appel à la banque Lazard dans l'espoir de sauver son indépendance.
Est-ce le début de "la grande glissade" - "the big whoosh" - ? se demande Herb Greenberg, chroniqueur vedette du site MarketWatch. Après Bear Stearns, à qui le tour ? L'analyste évoque un possible "effet domino", tant est grande la fébrilité des marchés. De fait, l'intervention de la Fed a eu un effet dévastateur à Wall Street.
Non seulement l'action Bear Stearns s'y est effondrée vendredi de 46 % - la banque a perdu 75 % de sa capitalisation boursière en neuf mois -, mais toutes ont été affectées.
Lehman Brothers a perdu 14,6 %, Citi 6 %, Goldman Sachs 5,2 %. WaMu, premier organisme de crédit américain, 13 %. Même le "sauveteur" intéressé de Bear Stearns, JP Morgan, a reculé de 4,1 %.
Dans la matinée, l'agence Standard & Poor's avait baissé de trois crans d'un coup la note long terme de Bear Stearns. Les agences Fitch et Moody's l'avaient aussi fortement décotée. Les investisseurs attendent avec anxiété le début de semaine. Bear Stearns devait publier son bilan trimestriel le 20 mars. Elle le fera dès lundi. Le lendemain viendront Goldman Sachs et Lehman Brothers, puis mercredi Morgan Stanley. Les analystes attendent de nouvelles dépréciations d'actifs massives. Tous escomptent que le Fed annonce, mardi, une nouvelle baisse de son taux directeur d'un demi-point, peut-être de 0,75 %.
"Il est bon pour l'économie de faire confiance aux marchés", dit M. North. Mais "il est des situations où un gouvernement doit intervenir". Et celle que vivent les Etats-Unis en est une. Comme nombre d'économistes, il estime que les décisions monétaires de la Fed sont insuffisantes.
L'autre priorité est d'enrayer l'effondrement de l'immobilier, en commençant par mettre temporairement un terme aux saisies massives d'appartements des emprunteurs insolvables, car les banques n'en prendront pas l'initiative. Mais George Bush a encore répété cette semaine qu'il s'opposerait à toute mesure du Congrès en ce sens. Il n'est pas question, selon lui, de donner une "prime aux spéculateurs" et à ceux qui se sont endettés de manière irresponsable.
Sylvain Cypel