FINANCE

Les fonds d'investissement dans la tourmente des subprimes
LE MONDE | 10.03.08 | 14h27  
NEW YORK CORRESPONDANT


 

Les grands fonds d'investissement américains vacillent. Eux aussi subissent aujourd'hui le contrecoup de la crise des subprimes, ces crédits immobiliers à risque accordés à des foyers précaires. Eux aussi ont beaucoup investi dans ces valeurs spéculatives qui ont déjà coûté beaucoup d'argent aux banques et mettent en péril la croissance américaine.

Le plus affecté est Carlyle, souvent nommé aussi le "fonds de la famille Bush", parce qu'elle y détient d'importants intérêts et que nombre de ses dirigeants lui sont, ou lui ont été, liés.

Sa filiale spécialisée dans les titres hypothécaires, Carlyle Capital Corp. (CCC), a été suspendue, vendredi 7 mars, à la Bourse d'Amsterdam. Elle avait, la veille, plongé de 58,3 %. Ce fonds spéculatif gérait 21,7 milliards de dollars (14,2 milliards d'euros) de titres hypothécaires assis sur les emprunts alloués par les deux premiers financiers cotés de l'immobilier aux Etats-Unis : Fannie Mae et Freddy Mac. Incapable d'honorer des appels de marge - c'est-à-dire d'obtenir des crédits bancaires pour assurer la valeur des titres qu'il détient -, CCC a dû vendre ses junk bonds ("obligations pourries") en catastrophe, enregistrant au passage de fortes pertes.

CCC a annoncé vendredi "n'exclure aucune option possible". Pour beaucoup, cette phrase signifie qu'un dépôt de bilan n'est pas impossible. Ses dirigeants devaient se réunir lundi matin en urgence. Un analyste de Citigroup, Donald Fandetti, indiquait au Wall Street Journal, samedi, que sa "mise en faillite" n'était pas exclue.

Le New York Times rappelait, samedi, que l'un des fondateurs de Carlyle, William Conway, évoquant la spéculation sur les titres hypothécaires à risque, écrivait aux autres dirigeants du fonds, il y a un an : "Je sais que cet environnement financier ne peut durer éternellement, et je sais aussi que plus il durera, pire ce sera lorsqu'il touchera à sa fin."

Pour Carlyle, la "fin" semble arrivée. Mais aussi pour des fonds tout aussi renommés que sont KKR (Kohlberg Kravis Roberts) ou Blackstone (lequel a dû céder il y a quelques mois 10 % de son capital au fonds souverain China Investment Corp.), qui ont également misé sur les titres subprime.

 

TROP D'EMPRUNTS

L'action Blackstone ne cesse de se rétrécir depuis six mois, et elle a atteint son plus bas vendredi, à 14,58 dollars à Wall Street, perdant 3,1 % dans la journée. Les marchés attendaient avec inquiétude l'annonce, lundi 10 mars, des résultats trimestriels de Blackstone.

Son président, Stephen Schwarzman, a récemment fermé un de ses hedge funds spécialisés dans l'immobilier (qui gérait 10 milliards d'actifs) et cherche, selon des propos tenus par ses proches, à lever 15 milliards de dollars (9,8 milliards d'euros) pour relancer ses activités d'investissement financier.

KKR a également des soucis. Son fonds de gestion d'obligations hypothécaires (KKR Financial), malgré les lourdes pertes qu'il a inscrites au bilan du dernier trimestre de 2007, n'a pas de problèmes de liquidités. Mais il a été dégradé, vendredi, par l'agence de notation Standard & Poor's.

Pour tous, le problème est identique. Ces fonds ont beaucoup emprunté pour se lancer dans la spéculation sur les titres hypothécaires. CCC avait ainsi levé des capitaux trente-deux fois supérieurs à la valeur de son portefeuille de clientèle (670 millions) pour investir dans ces titres, s'endettant pour des montants allant de 1,7 à 4,7 milliards de dollars auprès de grandes institutions bancaires comme Citigroup, UBS, Deutsche Bank ou Bank of America.

Ils ont accusé en quelques mois des pertes colossales. Et ils ne peuvent aujourd'hui compter sur de nouvelles lignes de crédit, celui-ci se resserrant drastiquement.

 

Sylvain Cypel
Article paru dans l'édition du 11.03.08