Logement. La généralisation de cette épargne menacerait le financement des
HLM.
Bruxelles exigerait le Livret A pour tous
Par Tonino SERAFINI
Libération : jeudi 10 mai 2007
Au seul nom de la libre concurrence, la Commission européenne de Bruxelles va très certainement enjoindre aujourd'hui le gouvernement français de mettre fin au monopole de distribution du Livret A et du Livret Bleu dont bénéficient la Caisse d'épargne, la Banque postale et le Crédit mutuel. La Commission exige que tous les réseaux bancaires puissent proposer ces livrets à leurs clients dans un délai de neuf mois. Une décision qui risque d'être lourde de conséquence pour le devenir du logement social.
Original. En France, la construction des HLM repose en effet depuis plus d'un siècle sur la collecte de cette épargne centralisée à la Caisse des dépôts. Son encours est de l'ordre de 130 milliards d'euros. Cet argent sert à octroyer des prêts aux organismes de HLM, pour financer la construction de logements destinés aux ménages modestes. Un système original par lequel l'épargne populaire finance le logement populaire. «A partir d'une épargne liquide que les gens peuvent abonder ou retirer à tout moment, on parvient à financer des prêts au très long cours dont la durée peut aller de trente à cinquante ans», souligne Pierre Carli, président du directoire du Logement français, l'un des principaux bailleurs sociaux de l'Hexagone. Certains rappellent que ce système n'a jamais généré «un seul accident financier, les HLM ont toujours remboursé». Depuis qu'il existe, il a permis la construction de plus de 4,5 millions de logements sociaux en France.
L'argent est prêté par la Caisse des dépôts, à 3,55 % pour des prêts de quarante et cinquante ans, par exemple. Le taux couvre la rémunération de l'épargnant (2,75 %) et les frais de collecte et de gestion. Les loyers encaissés par l'organisme de HLM servent à rembourser l'emprunt souscrit lors de la construction de l'immeuble. Mais la pérennité du système repose sur la stabilité de la collecte. Si elle s'effondre, tout l'édifice risque d'être mis en péril. Très remontés contre Bruxelles, les milieux HLM suspectent les banques de lorgner les livrets les mieux garnis. «Elles vont inciter leurs clients à les rapatrier dans leurs agences, pour orienter ensuite cette épargne vers des produits financiers plus rémunérateurs pour elles et pour l'épargnant.»
Les bailleurs sociaux craignent donc un assèchement des sommes collectées par la Caisse des dépôts. «Dans un deuxième temps, les banques, toujours au nom du marché, risquent aussi de demander la suppression de la centralisation de la collecte. Ce qui mettrait en cause, cette fois, tout le système de financement du logement social», pointe Pierre Quercy, délégué général à l'Union sociale pour l'habitat, qui fédère les organismes de HLM.
Contester. La décision de l'UE fait suite à une plainte déposée auprès de la Commission européenne par le Crédit agricole, rejoint ensuite par BNP-Paribas, la Banque populaire et ING-Direct. Hier, Bercy a annoncé son intention de contester la décision de la Commission en portant l'affaire «devant une juridiction européenne», pour défendre un système de prêts au logement social qui ne coûte rien à l'Etat. Ce qui n'est pas négligeable en temps de vaches maigres pour les finances publiques.