Les mystères de la civilisation minoenne se dissipent

Par Martine Jacot

REPORTAGE Réservé à nos abonnés

Publié le 08 avril 2019 à 16h04, mis à jour à 09h24

Découverte il y a un siècle en Crète, la civilisation minoenne (3100-1100 avant J.-C.) a fasciné des générations d’archéologues. Des fouilles récentes l’éclairent d’un jour nouveau.

Le chantier est plutôt discret, bien que de nombreux archéologues s’y attellent : des équipes grecques, belges, françaises, britanniques, italiennes, américaines, canadiennes, irlandaises, allemandes et suédoises continuent de fouiller l’île de Crète chaque année. Qu’ils explorent de nouveaux sites ou reprennent d’anciennes fouilles, comme à Cnossos, avec des techniques plus sophistiquées, ils percent peu à peu les mystères de la civilisation minoenne, apparue vers 3100 avant notre ère.

Elle est sortie des oubliettes de l’histoire à partir de 1900, lorsque le pionnier britannique Arthur Evans et ses ouvriers mirent au jour, à la stupéfaction générale, le palais de Cnossos près d’Héraklion – un chef-d’œuvre architectural et artistique érigé sur 13 000 mètres carrés, en partie sur quatre étages, plus d’un millénaire avant l’aube de la Grèce classique.

On y découvrit peu à peu des chaussées pavées, des puits de lumière, un système d’aération, des baies à portes multiples formant des cloisons modulables, des salles d’archives, des magasins, des silos, des ateliers d’artisans, un système d’évacuation des eaux, des baignoires et même un espace souvent interprété comme étant des latrines. Depuis, cette civilisation particulièrement avancée de l’âge du bronze n’a cessé de fasciner autant que d’intriguer.

Joie de vivre

Les Minoens émerveillent par la finesse de leur art, la qualité de leur artisanat et le luxe de leurs productions. Ils les ont disséminées en mer Egée et en Méditerranée, grâce à leurs impressionnantes flottes de rameurs. Leurs artistes les plus talentueux ont été envoyés en Egypte, en Anatolie (dans l’ouest de l’actuelle Turquie), en Israël et jusqu’en Syrie, d’où l’ivoire d’éléphant était importé.

Tout aussi étonnante est la joie de vivre qui émane des fresques, sceaux et céramiques parvenus jusqu’à nous. Ils dépeignent des festins, des danses, des jeux (tauromachie, boxe, acrobaties) ou des félins bondissant dans une nature avenante. Le contraste est net avec le côté compassé des chefs-d’œuvre contemporains de l’Egypte antique.

Les Minoens ont préféré parfaire et enjoliver des palais pour les vivants plutôt que de construire des pyramides pour les morts. Par bien des aspects, ce peuple continue de « résister à toute classification en tant que civilisation », résume l’archéologue américain Tim Cunningham. D’autant que personne, jusqu’à présent, n’a réussi à décrypter son écriture.

Quelle était l’origine des Minoens ? Arthur Evans soupçonnait qu’ils étaient venus d’Egypte, en raison des preuves de leurs contacts avec la terre des pharaons, à quelque 600 kilomètres de leurs côtes. Les dernières publications indiquent plutôt la direction opposée.

Chronologie

3100-1900 avant J.-C. : prépalatial

1900-1700 avant J.-C. : protopalatial. Période de construction des premiers palais, jusqu’à leur destruction vers 1700, sans doute à cause d’un violent séisme.

1700-1450 avant J.-C. : néopalatial. Les palais sont reconstruits. Vers 1530, l’éruption du volcan de Santorin provoque de grands dommages au centre et à l’est de la Crète, dont un tsunami. Vers 1450, les palais sont tous incendiés, sauf Cnossos.

1450-1100 avant J.-C. : postpalatial. Déclin de la civilisation minoenne, arrivée des Mycéniens, qui établissent leur autorité sur la Crète jusqu’à leur propre chute, à la fin du XIIe siècle avant J.-C., et l’invasion de la Crète par les Doriens.

Une équipe de chercheurs de l’université de Washington, de la faculté de médecine d’Harvard et de l’Institut Max Planck de Leipzig a examiné l’ADN des dents de dix-neuf personnes identifiées par les archéologues comme étant des Minoens, des Mycéniens de la Grèce continentale (successeurs des Minoens en Crète) et des habitants de l’Anatolie. D’après les résultats de leurs travaux publiés en août 2017 dans la revue Natureles Minoens étaient des agriculteurs du début du néolithique, ayant « probablement migré d’Anatolie des milliers d’années avant l’âge du bronze ».

Nombreux palais

Ont-ils rejoint des peuplades plus anciennes ? L’équipe du professeur Thomas Strasser du Providence College (Rhode Island, Etats-Unis) a récemment réexaminé avec de nouvelles techniques les pétroglyphes trouvés dans la grotte d’Asphendou, dans les contreforts des montagnes Blanches, dans l’ouest de l’île. Sa conclusion est que ces gravures sur roche remontent non pas au néolithique, comme on le pensait jusqu’alors, mais au paléolithique « probablement supérieur », entre 45 000 et 11 000 avant notre ère. D’autres traces paléolithiques ont été trouvées dans le sud de la Crète et sur l’île de Gavdos. Et les archéologues ont constaté, par stratigraphie notamment, que de nombreux palais minoens étaient bel et bien construits sur des bases remontant au néolithique.

Le pluriel s’impose plus que jamais à propos de ces palais. Au fil des décennies, on n’a cessé d’en découvrir de nouveaux, moins vastes que Cnossos, mais tous organisés sur le même modèle : quatre ailes autour d’une cour centrale généralement orientée nord-sud, le lieu des événements rituels sur les fresques.

Dans les années 1900, les archéologues italiens ont mis au jour le palais de Phaistos, qui domine la plaine de la Messara, et la ville voisine d’Aghia Triada, les Américains celui de Gournia (golfe de Mirabello) et les Français celui de Malia (côte nord de l’île, à l’est d’Héraklion), fouillé à partir de 1920. Au début des années 1960, l’archéologue grec Nikolaos Platon a découvert le palais du port de Zakros, à l’extrémité orientale de la Crète. Vingt-cinq ans plus tard, des équipes grecques ont exhumé celui de Petras, proche de Sitia, toujours à l’est, puis celui de Galatas, au centre de l’île, en 1992.


Fresque de procession sacrée, retrouvée dans le palais de Cnossos, près d’Héraklion, en Crète. GIANNI DAGLI ORTI / AURIMAGES

Le dernier réapparu jusqu’à présent est celui de Sissi, fouillé depuis 2007 par les équipes du professeur belge Jan Driessen de l’université de Louvain-la-Neuve. « Lorsque, en 2015, le géophysicien Apostolos Sarris de l’Institut des études méditerranéennes de Réthymnon a trouvé par radar une cour centrale avant même qu’on l’ait excavée, nous avons été estomaqués, confie-t-il. Nous étions donc bien en présence d’un autre palais, plus petit mais étonnamment proche – moins de quatre kilomètres – de celui de Malia. Il gardait probablement l’entrée de la gorge menant vers l’est de l’île. »

« Une terre aussi belle que riche »

La liste n’est sans doute pas close. Les spécialistes soupçonnent l’existence de palais sur au moins quatre sites, dont Archanès, sous la ville actuelle (sud d’Héraklion). A l’est, entre Sitia et Zakros, la deuxième plus grande ville minoenne après Cnossos, Palaikastro, reste une énigme, car aucun bâtiment à cour centrale n’y a été décelé pour le moment. Outre les palais, de nombreuses villas isolées, comme à Zominthos, abritant jusqu’à une cinquantaine de personnes sur deux étages, ont été mises au jour un peu partout, de même que des hameaux et des fermes éparses.

« Jusque dans les années 1990, on pensait que la Crète minoenne était divisée en quatre grands royaumes – autour des palais de Cnossos, Phaistos, Malia et Zakros –, chacun régissant par un système d’administration des productions régionales, rappelle Alexandre Farnoux, directeur de l’école d’archéologie française d’Athènes et auteur de l’ouvrage Cnossos, l’archéologie d’un rêve (Découvertes Gallimard, 1993). Le basculement s’est produit vers 2000, lorsqu’on s’est rendu compte de la multiplicité des unités administratives – palais et villas  probablement indépendantes. Toute une réflexion s’en est suivie sur ce qu’était réellement le pouvoir minoen. » Elle bat toujours son plein.

Alexandre Farnoux est loin d’être le seul à estimer qu’Arthur Evans avait « créé un scénario » : Cnossos avait, selon lui, été dirigé par un roi, Minos, évoqué bien plus tard, au VIIIe siècle avant J.-C., dans les œuvres attribuées aux poètes Hésiode et Homère, fondatrices de la mythologie grecque. « Au large, dans la mer vineuse, est une terre aussi belle que riche, isolée dans les flots : c’est la terre de Crète, aux hommes innombrables, aux quatre-vingt-dix villes ; parmi elles, Cnossos, grande ville éclatante de ce roi Minos que le grand Zeus prenait pour confident », lit-on dans l’Odyssée (XIX, 172-179). Selon la légende, Minos escaladait tous les neuf ans le mont Ida, plus haut sommet de l’île, jusqu’à une grotte, celle où avait grandi son père Zeus, pour y recueillir ses conseils.

Article réservé à nos abonnés Lire aussiL’épopée d’Homère et son influence sur les arts, au Louvre-Lens

Et pour Arthur Evans, le labyrinthe du Minotaure était ledit palais de Cnossos à l’architecture si complexe, en rien semblable à ce que l’on connaissait alors des bâtiments de l’Antiquité.

Les Minoens n’avaient-ils pas le taureau ou ses cornes parmi leurs symboles sacrés au côté de la double hache ? Et dans l’Iliade, c’est le « roi de Crète », Idoménée, décrit comme étant le petit-fils de Minos, qui conduit les troupes de son île au siège de Troie à la tête d’une « flotte de quatre-vingts vaisseaux ». Arthur Evans, baptisa donc « minoenne » la civilisation qu’il avait exhumée.

« Sépultures collectives »

Problème : rien dans l’iconographie minoenne ne représente un roi, un prince, ni aucune noblesse. A Cnossos, Arthur Evans et ses assistants ont pris plusieurs pièces éparses de différentes fresques pour recomposer un personnage baptisé le « Prince aux Lys ». C’est ce que des analyses poussées ont récemment démontré. « Ce “prince” a permis à Evans, grand savant à son époque, mais également bon communicant, de tenir un discours historique à un moment où on ne savait absolument pas à qui on avait affaire, un peu à l’instar de Christophe Colomb débarquant en Amérique », commente Alexandre Farnoux.


Statuette d’ivoire représentant un acrobate, retrouvée dans le palais de Cnossos, près d’Héraklion. DE AGOSTINI / LEEMAGE

Pour certains archéologues, comme Lefteris Platon, successeur de son père à la direction des fouilles de Zakros, toutes les civilisations antiques, des Sumériens aux Egyptiens, ayant été dirigées par un souverain, « il est très probable que Cnossos n’ait pas échappé à la règle ». D’autres penchent pour une organisation plus originale de cette société.

Jan Driessen, qui étudie les Minoens depuis trente ans, est de ceux-là. « A l’absence d’iconographie royale s’ajoute le fait que l’on n’a jamais trouvé, jusqu’à présent, de tombes pouvant apparaître comme celle d’un roi ou d’un prince. Les sépultures des Minoens étaient collectives, souligne-t-il. Surtout, dans l’architecture de chaque palais, tous les accès convergent non pas vers une salle du trône comme en Mésopotamie, en Egypte ou chez les Mycéniens, mais vers la cour centrale, cœur de l’édifice. C’est ce qu’a démontré Quentin Letesson ces dernières années, dans ses analyses de la syntaxe spatiale des édifices minoens. » Quid alors du trône de gypse excavé à Cnossos par Arthur Evans, entouré de bancs et encadré de griffons ?

En 2001, l’archéologue britannique Lucy Goodison a été la première à suggérer que le système de portes de cette même salle était conçu pour laisser entrer des rayons du soleil, à son lever, de manière à illuminer le bassin lustral au solstice d’été et le trône au solstice d’hiver. « Depuis, le même phénomène a été vérifié ailleurs : à Vathipetro, villa dotée d’un sanctuaire, le soleil éclaire certaines niches aux solstices, ajoute Jan Driessen. Dans les palais de Malia, Phaistos, Gournia, Zakros et Sissi, si l’on n’a pas retrouvé de trône, on constate qu’à l’angle nord-ouest de la cour centrale – au même endroit que la salle du trône de Cnossos – se trouve une pièce bien décorée et dotée de bancs en pierre. » PourLucy Goodison, entre autres, s’y déroulaient sûrement des rites liés aux passages des saisons.

« Déesses aux serpents »

Plusieurs artefacts montrent l’épiphanie d’une déesse descendant du ciel puis assise sur un trône. D’autres éléments confirment que le personnage principal de la religion minoenne était une femme : la grande déesse. Arthur Evans l’avait d’ailleurs soupçonné en s’appuyant sur les figurines de faïence trouvées à Cnossos, ces « déesses aux serpents » aux seins nus, brandissant ou tenant un de ces reptiles dans chaque main. Le trône de Cnossos a donc pu être occupé par une grande prêtresse. Mais alors, qui gouvernait le palais et le reste de l’île ?

Alexandre Farnoux rappelle qu’un archéologue français, Henri Van Effenterre (1912-2007), avait estimé, dès les années 1960, que le monde minoen avait pu connaître un système de cités autogérées, où le palais était un bâtiment public dans lequel officiaient de simples magistrats. La Crète n’est-elle pas le lieu de naissance de la cité grecque ? A l’époque, Henri Van Effenterre avait été très critiqué. Aujourd’hui, certains archéologues évoquent une structure sociale qui, au contraire d’une hiérarchie, favorise les relations et la coopération entre les membres : les structures sociales complexes s’y chevauchent et s’entrecroisent.


Fresque des jeunes boxeurs, Akrotiri (Santorin), Grèce. LUISA RICCIARINI / LEEMAGE

Chose certaine, les palais organisaient les productions artisanales et vivrières, surtout celles requérant un travail communautaire (blé, olives, vendanges et vinification). Ils les géraient, les stockaient puis les redistribuaient. Les banquets rituels étaient l’occasion de réunir les communautés alentour et de les souder, voire de prévenir les scissions claniques. Les fonctions des palais étaient donc autant politiques qu’économiques, administratives et religieuses. Les Minoens n’avaient pas de temple. Leurs rituels, impliquant parfois des sacrifices d’animaux, étaient pratiqués dans les palais, les villas, les grottes et sur les nombreux sanctuaires retrouvés aux sommets de montagnes.

Les femmes semblent avoir joué un rôle de premier plan, pas seulement au niveau religieux. Dans l’iconographie minoenne, elles apparaissent parées des plus beaux atours, tandis que les hommes sont tous simplement vêtus du même type de pagne. Aucune représentation ne montre de femme en position de soumission à un homme. Jan Driessen émet l’hypothèse d’une société matrilinéaire et matrilocale (le fiancé ou l’époux va habiter dans la famille de sa femme) au sein d’habitations où vivaient en général plusieurs foyers. Il espère davantage d’analyses isotopes et d’ADN des restes trouvés pour y voir plus clair.

« Signaux par fumée et par gestes »

Une vaste recherche intitulée « Les routes minoennes » a apporté plus de certitudes au chapitre des communications. Effectuée sur plus de 160 sites sous la houlette des archéologues grecs Stella Chryssoulaki et Leonidas Vokotopoulos, elle a révélé sur l’île deux types de routes. Les unes, destinées aux chars transportant des marchandises, comportent parfois des ponts et des viaducs. Les autres, à l’usage des montures et piétons, plus étroites et directes, constituent des « voies express ». Elles relient des villes, palatiales ou non, longent des côtes, mènent à des lieux de culte ou à des carrières. Un système de barrage avec bassin, destiné à protéger les terres pentues de l’érosion des eaux de pluie et à l’irrigation en été, a été découvert à Chiromandrès (est de l’île).

La même étude assure par ailleurs que, dès l’époque des premiers palais, le réseau routier « s’apparente à un système de défense et de contrôle du territoire ». De nombreux postes de garde ont été mis au jour « à la jonction de deux ou plusieurs voies, naturelles ou aménagées ». « Ils communiquent entre eux par un contact visuel ou par l’intermédiaire de postes de vigie », indiquent les chercheurs. Arthur Evans avait décrit une société pacifique, les palais n’étant pas fortifiés. Les Minoens avaient néanmoins des armes et des moyens de défense, comme l’a confirmé la découverte de tours ou d’enceintes en plusieurs points de l’île.

« Plusieurs artefacts montrent l’épiphanie d’une déesse descendant du ciel puis assise sur un trône. D’autres éléments confirment que le personnage principal de la religion minoenne était une femme »

En 2013, l’équipe de l’archéologue grec Nikos Panagiotakis a présenté ce qu’elle considère comme « le plus ancien système de communication du monde égéen » : dans la Crète centrale, « des buttes coniques aux sommets tronqués et plats, sur lesquelles étaient allumés des bûchers. Ces buttes servaient à transmettre des messages par signaux lumineux la nuit, par fumée et par gestes le jour ».Leurs emplacements, sur des points élevés, proches de voies de communication, « ont été choisis pour assurer un rôle de surveillance et alerter d’un danger en cas de nécessité », conclut l’étude.

Pour les Minoens, les pires calamités ne sont pas venues des mers, mais des secousses de la terre. De violents séismes ont ébranlé les palais, en particulier vers 1700 avant J.-C. La plupart ont été reconstruits sur les ruines des anciens – Cnossos compris.

Tsunami

S’ouvrit alors l’époque néopalatiale, considérée comme l’apogée de la civilisation minoenne et de son commerce dans le bassin méditerranéen. Durant deux siècles, jusque vers 1500, Cnossos a exercé une influence plus directe sur le reste de l’île, envoyant par exemple, selon Lefteris Platon, ses spécialistes pour la reconstruction du palais de Zakros, dont le port était tourné vers les échanges avec le Proche-Orient.

« Au niveau architectural, on assiste à une standardisation des palais. Et l’accès à leurs cours centrales se restreint. Signe d’une sélection des participants aux cérémonies ? Les productions artisanales s’uniformisent aussi », ajoute Quentin Letesson.

Un autre cataclysme signa le début de la fin de la civilisation minoenne. En plusieurs phases, le volcan de Santorin (l’ancienne Théra), à une centaine de kilomètres au nord d’Héraklion, explosa et déchira l’île avec une violence comparée aujourd’hui avec celle du volcan Krakatoa (Indonésie), en 1883. Il y eut énormément de projections lointaines de cendres et de pierres ponces – les archéologues continuent d’en trouver trace en Crète.

Puis survint un tsunami. Les ports, leurs flottes ainsi que les édifices côtiers du centre et de l’est de la Crète furent dévastés. La ville de Palaikastro, au fond d’une baie, fut particulièrement touchée. « Venus étudier la situation de près ces dernières années, des vulcanologues, climatologues et spécialistes des tsunamis estiment qu’un mur d’eau de plusieurs mètres de haut a déferlé sur la ville à une vitesse de 15 à 30 kilomètres/heure. Une deuxième vague, moins forte, a suivi. Ceux qui avaient survécu au premier raz-de-marée ont toutes les chances d’avoir été victimes du second », estime l’archéologue canadien Alexander MacGillivray, ex-codirecteur des fouilles à Palaikastro pour l’école britannique d’Athènes.

Article réservé à nos abonnés Lire aussiLa langue des Minoens reste une énigme

Une controverse perdure sur la date de cette catastrophe. Géologues et paléoclimatologues s’appuient sur des datations au carbone 14 et des carottes polaires pour la situer entre 1650 et 1620 avant notre ère. Les archéologues se fient plutôt à la chronologie et aux textes égyptiens pour retenir la date approximative de 1530.

Désintégration sociale, économique et religieuse

On a longtemps pensé que les Mycéniens, venus de la Grèce continentale, avaient profité des désastres causés par l’éruption de Santorin pour s’imposer en maîtres à Cnossos.

Dans une recherche minutieuse, basée sur les comptes rendus de fouilles sur 61 sites et intitulée The Troubled Island, Jan Driessen et l’archéologue britannique Colin MacDonald avancent que la société minoenne s’est d’abord effondrée de l’intérieur. Selon eux, un processus de désintégration sociale, économique et religieuse – les Minoens se seraient sentis « trahis » par la mère nature lorsqu’elle a lancé ses foudres – a renforcé le pouvoir des élites locales, puis a mené à de graves conflits intestins. Les incendies de la plupart des palais (sauf Cnossos) et de villas, survenus vers 1450 avant J.-C., ont, d’après eux, été volontaires. Pour quelles raisons exactement ? Mystère.

Ces destructions auraient conduit à une situation si anarchique que les Mycéniens n’auraient pas eu grand mal à s’immiscer dans l’île. Ils introduisent un système politique hiérarchisé et une autre religion avec des dieux comme Zeus, Athéna ou Poséidon – panthéon qui fusionnera avec celui des Minoens.

Les Mycéniens modifient en outre les symboles de l’écriture minoenne (toujours non décryptée) pour les adapter aux leurs. Le déchiffrement de ce nouveau système d’écriture a permis de comprendre que, sous les Mycéniens, un souverain a existé à Cnossos, appelé « Wanaka ». Un mot qui apparaît chez Homère dans l’Iliade pour désigner le prince à la tête d’une armée…

Martine Jacot Crête, envoyée spéciale