Quel est l'ambition de votre "plan de cohésion sociale"?
C'est la réponse du gouvernement à l'état de la société française. En quinze ans, le nombre d'allocataires du RMI est passé de 400 000 personnes à 1,2 million.
Le taux de chômage des jeunes est passé de 15 % à 22 %. Et dans les 700 zones urbaines sensibles - où vivent six millions d'habitants -, le taux de chômage des moins de 25 ans est passé de 25 % à 55 %. Le nombre d'actes racistes commis chaque année est passé de 180 à 800. Le modèle français s'est calcifié, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de passerelle possible, plus de parcours ou d'ascenseur entre les différents groupes sociaux.
Avez-vous rencontré des difficultés pour faire partager ce constat au gouvernement ?
Tout le monde sait que la situation s'est aggravée, qu'il n'y a pas assez de moyens dans les écoles des quartiers difficiles. Et que quand on perçoit un revenu d'assistance, on s'en sort très difficilement. Lors des réunions préparatoires, on ne m'a jamais dit que j'avais tort, mais j'ai fait face à un certain attentisme. Au fond, me disaient certains, pourquoi tout remettre en cause ? Pourquoi ne pas attendre la reprise de la croissance, censée régler tous les problèmes ?
Vous vous êtes en somme heurté à un défaitisme d'Etat ?
Non, plutôt au scepticisme. J'ai dû mener une bataille de conviction au départ. Ensuite, une fois acquis le principe du plan, et après avoir recueilli le soutien de tout le gouvernement, les débats budgétaires ont été secondaires.
Treize milliards d'euros sur cinq ans, est-ce suffisant ?
Ces 13 milliards seront ceux qui figureront directement sur les budgets de l'Etat dont j'ai la responsabilité, en plus de nombreux autres moyens, inclus dans les budgets d'autres ministères, de collectivités ou d'acteurs privés. Un exemple : dans l'éducation, nous allons accroître les efforts des zones d'éducation prioritaires (ZEP), et cela figure noir sur blanc dans le "bleu" signé par le premier ministre. Cela veut dire que l'éducation nationale accroîtra ses moyens et que moi je financerai 350 millions d'euros pour mettre en place les équipes socio-urbaines qui renforceront le personnel éducatif.
A combien s'élève réellement le financement de votre plan ?
Compte tenu des concours externes, je ne le saurai qu'à l'arrivée. Je vous donne un autre exemple : l'agence de la rénovation urbaine, qui avait prévu de mobiliser, grâce à son effet de levier, 25 milliards d'euros sur cinq ans (dont 6 milliards pour l'Etat), sait déjà qu'elle dépassera cet objectif. Nous avons donc décidé de prolonger de trois annuités son exercice pour porter cette somme à 35 milliards d'euros (et 9 milliards d'euros pour l'Etat). Ce n'est pas dans le budget du plan !
De la même manière, dans les 85 zones franches urbaines que j'ai créées, le rythme de créations d'emplois est tel que nous sommes en train de faire exploser les compteurs ! On avait prévu 385 millions d'euros dans le budget - pour compenser les baisses de charges auprès des collectivités locales -, on va dépenser plus du double.
Vous signez des chèques en blanc sur le budget de l'Etat !
Non, je rattrape le retard. Et, à terme, l'Etat et les collectivités locales en bénéficieront budgétairement par les recettes fiscales induites par cette activité créée.
Le plan démarre lentement, avec 1 milliard d'euros en 2005.
Ce n'est pas un problème. Les deux dispositifs les plus onéreux de mon plan - le contrat d'activité et la modernisation de l'apprentissage - monteront en charge progressivement. L'augmentation de la rémunération des apprentis, compensée par la prise en charge par l'Etat des charges sociales, se verra dans trois ans. Et je souhaite que le contrat d'activité monte en charge régulièrement pour que les communes qui les géreront aient réellement les moyens d'assurer le suivi individualisé et la réinsertion progressive des bénéficiaires.
Le contrat d'activité dans le secteur non marchand s'apparente-t-il à un retour au traitement social du chômage ?
Notre marché du travail fonctionne de plus en plus mal. Il y a, d'un côté, des métiers sous tension, des secteurs d'activité souffrant de pénuries comme le BTP, des entreprises qui recourent à de la main-d'œuvre étrangère, et, de l'autre côté, quatre millions de chômeurs. Le contrat d'activité permettra d'obtenir une formation diplômante ou qualifiante.
Que ferez-vous pour lutter contre les discriminations à l'embauche ?
Les grandes entreprises se sont engagées à mener une action massive de lutte contre les discriminations à l'embauche et à recruter systématiquement dans les bassins d'emploi où elles sont implantées. Si le changement dans le recrutement n'est pas substantiel dans les deux ans, nous serions amenés à saisir le Parlement.
La fonction publique va donner l'exemple : nous allons réserver pendant cinq ans aux jeunes non qualifiés un tiers des postes ouverts dans les trois fonctions publiques (Etat, collectivités loca-les et hôpitaux). Ces 100 000 emplois seront proposés via l'apprentissage et non par le système traditionnel du concours.
Propos recueillis par Bertrand Bissuel, Claire Guélaud et Christophe Jakubyszyn