Les excédents allemands, boulet pour Merkel ?

L’Allemagne est accusée de ne pas suffisamment importer et de trop peu investir, accentuant les déséquilibres avec ses partenaires.

LE MONDE |  • Mis à jour le  | Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)

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La chancelière allemande Angela Merkel à Berlin (Allemagne), le 17 juillet.  ODD ANDERSEN / AFP

Une performance économique peut-elle se transformer un boulet politique ? La question risque d’être à nouveau posée avec la publication, mardi 8 août, des résultats du commerce extérieur allemand, une nouvelle fois en hausse au mois de juin, à 21,2 milliards d’euros, selon Destatis - alors que dans le même temps le déficit commercial français s’est creusé de 4,7 milliards d’euros selon les chiffres des Douanes publiés le même jour.

Or l’Allemagne, qui a enregistré en 2016 un excédent commercial record d’environ 250 milliards d’euros, est accusée de ne pas suffisamment importer et de trop peu investir, contribuant à accentuer les déséquilibres avec ses partenaires commerciaux.

A sept semaines des élections législatives, ces chiffres sont a priori une excellente nouvelle pour Angela Merkel. Douze ans après son arrivée au pouvoir, la présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) estime que la bonne santé de l’économie allemande est son meilleur argument pour l’emporter le 24 septembre et rester chancelière quatre années de plus. Le slogan de sa campagne en témoigne : « Pour une Allemagne où il fait bon vivre », promettent les affiches de la CDU, où le visage de Mme Merkel apparaît sur fond noir, rouge et jaune, les couleurs du drapeau national.

Cette prospérité ne présente cependant pas que des avantages pour la chancelière. Pour Mme Merkel, qui mise également sur sa stature internationale pour se faire réélire, les excellents chiffres du commerce extérieur allemand compliquent en effet les relations du pays avec ses partenaires et, ce faisant, nuisent à son image sur la scène mondiale.

Le problème n’est pas nouveau. Il a été récemment remis sur le devant de l’actualité par Donald Trump. « Nous avons un ENORME déficit commercial avec l’Allemagne (…). Très mauvais pour les USA. Ça va changer », a tweeté le président américain, le 30 mai, après le sommet du G7 en Italie, lors duquel se sont affichées au grand jour ses divergences avec Mme Merkel. Un mois plus tard, l’hebdomadaire britannique The Economist relançait le débat à son tour. « Le problème allemand : pourquoi son excédent porte préjudice à l’économie mondiale », pouvait-on lire en une de son édition du 8 juillet, sur laquelle figurait un aigle au bec et aux serres colorés d’un rouge menaçant.


Trop faibles investissements

Outre-Rhin, ces critiques suscitent des réactions contrastées. Pour les uns, les reproches faits à l’Allemagne sont infondés. « Les excédents allemands ont leur source dans les déficits des autres pays », estime ainsi l’économiste Hans-Werner Sinn. Dans une tribune publiée le 25 juillet dans le quotidien Handelsblatt, l’ancien directeur de l’Institut de recherche économique de l’université de Munich (IFO) accuse les Etats-Unis et les pays du sud de l’Europe d’avoir « contribué aux excédents allemands » en profitant de politiques budgétaires et monétaires qui leur ont « permis d’acheter des produits allemands » à des prix compétitifs.

Reprenant l’argument régulièrement avancé par le ministère des finances, l’économiste estime que les surplus allemands sont la conséquence du « keynésianisme excessif qui a servi à légitimer [les] politiques » de ces pays. Des politiques décriées par les conservateurs au nom du double dogme de l’équilibre des comptes publics et de la stabilité des prix.

Pour d’autres, au contraire, les excédents allemands mettent au contraire en lumière un problème de l’économie nationale : le niveau trop faible de ses investissements. En considérant que ses surplus commerciaux et budgétaires doivent d’abord servir à réduire sa dette et ses déficits publics, l’Allemagne contribuerait à l’atonie de la croissance européenne et mondiale.

Ce reproche, qui a déjà été exprimé par le Fonds monétaire international (FMI), la Commission européenne et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’a été à nouveau par Emmanuel Macron à la veille du dernier conseil des ministres franco-allemand. Berlin « doit accompagner une relance de l’investissement public et privé en Europe », a déclaré le président français, le 13 juillet, dans une interview au quotidien Ouest-France et aux journaux allemands du groupe Funke.


Chantres de l’austérité

En Allemagne aussi, le débat est relancé dans le contexte de la campagne des législatives. Pour Martin Schulz, le candidat du Parti social-démocrate (SPD) à la chancellerie, les excédents allemands ont atteint un tel niveau qu’il convient désormais de fixer « un montant minimum pour les investissements ». Selon lui, la situation du pays permet en effet de mettre en œuvre une telle politique sans mettre en question le « frein constitutionnel à la dette » inscrit dans la Loi fondamentale à la fin du premier mandat de Mme Merkel, en 2009, et qui limite le déficit structurel de l’Etat fédéral à 0,35 % du produit intérieur brut (PIB).

Accusée par le SPD d’avoir privilégié les excédents aux dépens des investissements, la chancelière se défend, en expliquant que le problème n’est pas lié au manque d’ambition de son gouvernement, qui a fait passer le budget alloué aux investissements de 24,9 milliards d’euros en 2014 à 36,4 milliards d’euros cette année, mais aux lourdeurs bureaucratiques et au manque de moyens des collectivités locales, qui n’ont pas les compétences de gérer l’argent mis à leur disposition par l’Etat fédéral.

Soucieux de ne pas se laisser caricaturer en chantres de l’austérité par les sociaux-démocrates, les conservateurs allemands ont inscrit dans leur programme une « loi favorisant l’accélération » des investissements dans le domaine des infrastructures et du numérique.

Une mesure qui colle aux attentes de l’opinion publique : selon un sondage de l’institut Civey publié mi-juillet, 86 % des Allemands estiment que l’Etat investit trop peu. A sept semaines des législatives, MmeMerkel sait qu’elle n’a aucun intérêt à laisser M. Schulz relayer les arguments de ceux qui pointent les effets négatifs, à long terme, que peuvent avoir des excédents trop élevés sur l’économie allemande.


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