Comment le problème de la dette publique française va être résolu par les nouvelles monnaies

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7 février 2007

La dette publique française, de l'ordre de 1200 milliards d'euros au début 2007, va être transmise aux générations à venir. Le problème se pose de savoir comment elles la rembourseront. Il est d'autant plus préoccupant que cette dette ne correspond pas à des investissements qui leur bénéficieront, mais au comblement de déficits budgétaires récurrents pour faciliter l'action politique des pouvoirs publics depuis 1980. Dans le passé, le problème était résolu par l'inflation. Les exemples abondent dans l'Histoire, les hyperinflations en Allemagne en 1923, en Hongrie en 1945, ou les inflations douces de long terme qui bouleversent l'ordre social comme la Révolution des prix en Europe au XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle qui a posé les fondations de la Révolution française. Le déséquilibre monétaire sévère actuel de la dette publique française va être résolu par des nouvelles monnaies. Cette évolution s'observera dans les grands pays occidentaux endettés et participera au mouvement plus général de perte de pouvoirs des États-nations et de leurs devises souveraines. Le phénomène est dû à la diffusion de la puissance des moyens informatiques.

L'informatique bouleverse nos modes de vies, ce n'est pas une révélation. Les aspects les plus spectaculaires pour le public sont la productivité personnelle apportée par les micro-ordinateurs, l'email, le Web, ou encore les téléphones cellulaires, la télévision numérique, l'accès instantané aux connaissances, etc. L'informatique a, néanmoins, déjà à son actif des modifications importantes dans le domaine financier moins connu du grand public. La profonde transformation de l'industrie bancaire et de la finance, au cours des vingt-cinq dernières années, est le résultat de l’application de la puissance de l'informatique au secteur bancaire et aux marchés financiers. Elle a eu pour conséquence une beaucoup plus grande liberté pour choisir comment emprunter, pour effectuer des transactions financières et pour créer de nouveaux produits financiers. Une autre illustration est la multiplication par un facteur cent des échanges de valeurs de portefeuille dans la balance des paiements française au cours de ce quart de siècle.

Cependant, l'informatique va aller beaucoup plus loin encore. Les différents nouveaux services, qu'on n'imaginait pas il y a seulement quelque temps, et qu'on a appelés faute de mieux  « le Web 2 », eBay, Google, Wikipedia, MySpace, etc. ne sont qu’un avant goût. L’informatique va faciliter l’apparition de nouvelles monnaies qui rendront obsolètes les monnaies souveraines que nous connaissons depuis 2500 ans. Ces nouvelles monnaies seront combattues par les pouvoirs publics, officiellement car elles échappent à la fiscalisation, comme l’ont toujours été les systèmes d’échange locaux (SEL) qui ne sont tolérés qu’à la condition qu’ils restent marginaux. Mais, à l’inverse des SEL, les nouvelles monnaies bénéficieront de la puissance de l’informatique et des télécommunications pour bousculer et sans doute à terme balayer les monnaies officielles.

À vrai dire, le phénomène est déjà à l’œuvre. Les pouvoirs publics ont commencé la guerre qui s’achèvera par leur défaite, et aussi par la solution du problème de la dette publique que les responsables politiques actuels prévoient de laisser à nos enfants. Quand eBay a racheté le service bancaire Paypal qui échappait au contrôle par les puissances publiques, les autorités ont réussi à imposer à eBay des réglementations qui ont ramené Paypal au simple statut de banque électronique.

Néanmoins les forces poussant à l’émergence des nouvelles monnaies, les moyens à leur disposition, et les problèmes qu’elles résoudront, sont tels que leur avènement est inéluctable. Second Life offre une nouvelle illustration. On peut considérer ce récent produit du Web 2 comme un gadget. Après tout, les grandes entreprises d’informatique, dans les années 1970, pensaient la même chose des micro-ordinateurs. Pourtant, sans eux, Internet ne serait jamais devenu ce qu’il est et n’aurait pas autant fait évolué la civilisation mondiale dans le sens de ce que Jacques Attali a décrit dans son dernier livre Une brève histoire de l’avenir comme le trend multimillénaire de la conquête par l’individu de sa liberté.

Sur Second Life on trouve déjà des « succursales » d’IBM ou Dell ; l’ambassade de Suède vient d’« établir » une antenne. On y trouve aussi une monnaie, le Linden. Pour l’instant, il est spécifié que le Linden ne doit pas être utilisé en dehors de Second Life (cf. http://www.associatedcontent.com/article/119328/second_life_and_the_virtual_buck.html). Mais comme toute réglementation ne pouvant pas être appliquée, elle est vouée à l’échec. Qu’est-ce qui empêchera deux personnes d’effectuer une transaction payée en Linden ? S’il s’agit d’échanges par le Net, c’est impossible. Et même s’il s’agit d’acheter un canapé contre des droits sur Second Life c’est très difficile. Le fils d'un ami a vendu pour 200 euros sonnants et trébuchants les codes d'utilisation d'un personnage virtuel dans un jeu sur Internet.

La diffusion des moyens informatiques dans le grand public permettra de mettre en place des nouveaux systèmes d’enregistrement et de gestion de crédits. Le crédit, dont la forme ultime aujourd'hui est la monnaie souveraine à cours légal d’un État, n’est qu’un ensemble de signes. Or l’informatique est par nature l’outil parfait pour noter et gérer des signes.

On a mentionné eBay, une des premières entreprises pouvant être classées dans le Web 2. Sur eBay, les acheteurs et les vendeurs accumulent des points mesurant leur fiabilité en tant qu’acheteur ou vendeur. Il s’agit, par définition, de crédits. Rien n’empêchera, sauf une sévère tutelle sur eBay, le transfert d’une manière ou d’une autre de ces points : nouvelle monnaie là encore.

Ce qui caractérise donc les nouvelles monnaies en cours d’apparition dans de nombreux secteurs du Web, c’est qu’elles échappent au contrôle de la puissance publique. L’informatique rend cela possible.

Et la gestion « sardanapalesque » de la dette publique française, que l’on prévoit de transmettre à nos enfants pour qu’ils se débrouillent avec, ne fera qu’accélérer la perte d’importance des monnaies classiques et l’émergence des nouvelles monnaies. Alors les dettes en euros auront la même importance que les dettes en marks de 1922.

André Cabannes


Voir aussi : http://www.lapasserelle.com/economics/monnaie_virtuelle_chinoise.htm
ou http://actu.abondance.com/2007-16/google-paid-links.php