Senti

J’ai senti des milliers de parfums, de roses et de glycines, de violettes et de lilas, les odeurs boisées de sapin humide ou de figuier, de thym et de résine sur le tronc des cerisiers.

J’ai senti la terre mouillée après la pluie dans les sentiers forestiers, les blés trempés après l'ondée, l’odeur âcre de la cendre qui éteint lentement les braises rougeoyantes, celle du salpêtre dans la cave et puis l’odeur de bois, de plâtre et de poussière dans le grenier.

J’ai senti l’eau de Cologne, la poudre de riz, le poil de vison des femmes qui ont été aimées, mais aussi la chevelure sans fond, le foin et le sainfoin, l’huile fine, le Chanel cinq, le musc et le miel chaud, mélangé aux senteurs de lait suri et de peau brunie de celle qui est mon amie.

J’ai senti la douceur du baiser, les jambes lisses et les bras serrés comme des bouées.

J’ai senti la présence et j’ai senti l’absence, la gaieté et l’angoisse, la joie et la colère.

J’ai senti les espoirs, les efforts, le désir d’être aimé.

J’ai senti les forces inexplicables, le destin parfois espiègle et parfois malveillant.

J’ai senti l’unité. J’ai senti se fondre les barrières, les distances, les errances et les différences.

J’ai senti que les hommes de toutes les races et de toutes les époques ont partagé les mêmes étonnements et les mêmes joies profondes.

J’ai senti que le monde est une scène, qu’il y faut des bourgeois et des saltimbanques, des enfants et des vagabonds, des sorcières et des fées, des voleurs, des docteurs, des trompeurs, des ahuris, des ébahis, des ravis, des savants et des rêveurs, des chefs et des elfes.

J’ai senti le bas, le sublime, le bestial, le divin.

J’ai senti les mots gorgés de sens qui éclatent dans la bouche comme des raisins mûrs, mais aussi l’ineffable, l’arbre magnétique, le bruit symphonique dans le vacarme du métro, l’ubiquité dans l’espace et aussi dans le temps.

J’ai pressenti tout ce qui me dépasse.

Mais j’ai senti que rien n’existe sans un être pour le ressentir.