Sur le voile à l'école
1. L'opinion française traditionnelle
2. Le vrai débat : Pourquoi le problème est plus
complexe qu'il n'y paraît, et pourquoi il soulève les passions
1. L'opinion française traditionnelle :
On a lu beaucoup de points de vue pour alimenter le débat sur le voile
islamique. Des penseurs estimables nous ont rappelé que ce qui est important ce
n'est pas le voile sur la tête mais les idées dans la tête. D'autres ont attiré
notre attention sur le fait que les femmes des générations passées en France se
couvraient la tête en public. Ils ont souligné aussi que si le voile à l'école
peut être perçu comme une violation des enfants alors d'autres violations
plus graves, et formellement contraires à la loi française, de l'intégrité des
enfants étaient régulièrement commises, comme par exemple la circoncision. Des
commentateurs ont montré du doigt d'autres provocations à l'école comme les
tenues hyper sexy, etc.
Il faut recadrer le problème. Dans sa forme simple il est le suivant : faut-il autoriser ou interdire le
port du voile islamique à l'école ? Dans sa forme plus générale il devient :
quelle attitude la société française doit avoir face aux règles de vie
islamiques strictes en public ? Laissons de côté la discussion si ce qui est
dans la tête est plus important que ce qui est sur la tête. Ce n'est pas le
problème. Il s'agit de prendre une décision. Pour prendre une décision la
démarche habituelle est d'examiner les conséquences probables des différentes
options, jusqu'à ce que l'on parvienne à identifier une option clairement
préférable aux autres.
Il m'apparaît vraisemblable que l'acceptation du port du voile islamique à
l'école est une option qui aura une suite de conséquences non souhaitables.
L'acceptation du port du voile islamique à l'école sera sans doute suivi de la
demande que les filles ne participent pas à certaines activités, ne viennent pas
certains jours, n'apprennent pas les mêmes choses que les garçons, et peut-être
même apprennent à être à leur service. C'est une suite de conséquences que nous
anticipons. Nous n'avons pas de boule de cristal, néanmoins nous n'avons pas le
choix que d'essayer de prévoir l'avenir. Donc ce n'est pas le voile islamique en
lui-même que nous rejetons mais ses conséquences probables. Et c'est parce que
d'autres comportements particuliers n'ont pas eu de conséquences non
souhaitables qu'ils sont à l'heure actuelle tolérés.
Une société est fondée sur un contrat social entre ses membres. Une partie de ce
contrat social est consignée dans la constitution et dans les différents codes
écrits. Mais ce n'est pas tout. Un ensemble de règles de vie en commun
implicites est aussi accepté. C'est une caractéristique de toute société. Ces
règles de vie en commun sont importantes pour la cohésion de la société. C'est
la raison pour laquelle, aussi regrettable que cela puisse paraître aux esprits
angéliques, dans toute société il existe les notions de membres et d'étrangers,
pas seulement en termes de passeport mais aussi en termes de mode de vie. Cela
est vrai même dans une société fondée sur l'accueil des autres. Toute société
est capable d'accueillir une proportion d'étrangers. Certaines sont plus
ouvertes que d'autres : la Hollande, la France, les États-Unis sont des pays
traditionnellement très ouverts. D'autres pays le sont traditionnellement
beaucoup moins. Une proportion d'étrangers est toujours vue comme une richesse.
C'est une source d'enseignement sur d'autres façons de vivre. Cela introduit une
variété plaisante dans la vie autour de nous. Mais dans tous les cas au-delà
d'une certaine proportion un
malaise commence à être sensible, car l'ensemble des règles implicites de vie en commun est alors
profondément bousculé.
Les lois de la sociologie veulent qu'un corps social quel qu'il soit, famille,
quartier, région, pays, veut protéger ses règles de vie en commun, de la même
manière que les lois de la physique veulent que quand je mets trop de livres
dans mon sac il cède. Il ne faut pas confondre cela avec la xénophobie qui est
un rejet aveugle et violent de l'étranger même quand il ne menace rien mais au
contraire apporte un enrichissement culturel. Les responsables politiques en
faveur d'une forte immigration à venir en Europe pour pallier le déclin
démographique qui s'annonce devraient prendre en compte ces lois sociologiques
dans leurs plans.
Notre rejet du voile islamique à l'école n'est pas motivé par le fait qu'il
serait visuellement dérangeant (nous apprécions le tableau de Vermeer "La jeune
fille à la perle" où le sujet a les cheveux voilés) ou que ça semble une
provocation. Mais il nous semble que c'est un cas où les règles de vie en commun de
la société française, et en particulier la place égalitaire de la femme gagnée
peu à peu au cours du siècle dernier, sont menacées.
Nous approuvons la remarque des frères Cohn-Bendit que ce qui est dans la tête
est plus important que ce qui est sur la tête. Mais elle nous paraît hors sujet.
Nous avons observé comme M. Orcel que nos grand-mères ne se montraient jamais en
public la tête découverte. (En revanche nous contestons sa remarque que la
chevelure est considérée comme sensuelle particulièrement autour de la
Méditerranée ; c'est vrai tout simplement partout.) Mais là encore la question
est de savoir ce que l'on décide sur le voile islamique et non pas de gloser sur
les contradictions dans la société française. Il est vrai que ses règles
implicites montrent beaucoup de contradictions, mais elle est encore à peu près
stable (même s'il y a beaucoup de choses à y reformer - mais ce sont d'autres
sujets). Cela fait partie des responsabilités des pouvoirs publics de
maintenir cette stabilité sociale. Pour moi, il faut refuser, par des moyens
réglementaires ou légaux, le port du voile islamique à l'école.
2. Le vrai débat : Pourquoi le problème est plus complexe qu'il n'y paraît, et pourquoi il soulève les passions
La société française dans son ensemble perçoit confusément que la question des jeunes filles voilées à l'école est un bras de fer entre les Français appartenant à la communauté française depuis longtemps et les Français d'origine maghrébine récente. La question n'est en effet pas seulement la demande légitime de respect de ses coutumes par une nouvelle catégorie de la société française face à l'exigence légitime aussi d'intégration des nouveaux venus dans les modes de vie traditionnels de la France.
Du point de vue des Français de longue date le voile représente la soumission de la femme à l'homme, un ordre social que notre société cherche depuis des générations à éliminer. Ce voile souligne aussi que la société française doit accepter des apports extérieurs importants, et ceci est toujours perçu comme une évolution menaçante.
Du point de vue des Français d'origine maghrébine récente l'intégration dans la société française ne s'est pas bien passée. Les Français d'origine maghrébine n'ont pas les mêmes chances que les autres de réussir dans la société française, ils sont pour résumer maltraités. Le voile porté par leurs jeunes filles est alors une manifestation de leur exigence de respect de leur catégorie et de leurs coutumes, respect qu'ils ont le sentiment justifié de ne pas avoir reçu de la société française dans laquelle ils sont arrivés il y a deux ou trois générations.
Même si c'est exact c'est donc finalement à côté du sujet de faire observer que le Coran n'exige pas le port de ce genre de vêtements.
Le port du voile, perçu par les Français de longue date comme une soumission de la femme et un refus d'intégration dans la société française, est au contraire pour les Français d'origine maghrébine récente le signe de leur exaspération de ne pas recevoir le respect auquel ils ont droit, et que la France patrie des droits de l'homme prétend donner, et il permet en particulier aux jeunes gens et aux jeunes filles d'origine maghrébine de se construire un sentiment d'appartenance à une communauté sociale que la société française dans son ensemble ne leur a pas donné.
En interdisant le voile prenons garde de ne pas être en train d'interdire le
thermomètre pour ne pas voir la fièvre.
AC
Novembre 2003