On observe en ce moment, en temps réel, l'effondrement du système à monnaie unique en Europe. Mais dès que l'on suggère, pour des raisons pratiques aussi bien que théoriques, l'emploi de monnaies nationales pour les dépenses nationales, les tenants de la monnaie unique poussent les hauts cris. "C'est irresponsable, c'est la destruction de l'Europe, c'est un terrible retour en arrière." Les plus exaltés parlent de Munich, d'Azincourt, des Éperons d'or. Mais de quoi s'agit-il ?
Il s'agit d'arrêter d'émettre en France des obligations à tire-larigot qu'on vend aux Allemands contre des euros (car ils en ont en surabondance à cause de notre déficit commercial avec eux) pour payer nos fonctionnaires.
Évidemment ce serait mieux si les fonctionnaires avaient gagné ces euros en exportant, mais je m'égare les fonctionnaires n'exportent pas, ils fonctionnent.
A la place donc soit on paierait directement les dépenses de l’État avec ces obligations, comme l'a fait la Californie. On aurait le choix d'imposer aux banques de les convertir, ou même leur donner le cours légal. Soit on émettrait des nouveaux papiers sans intérêt appelés billets de banque, contre des écritures d'avances de l'institut d'émission au Trésor (je vous passe un cours de comptabilité bancaire), à cours légal, portant le signe et le nom de notre choix. Je propose eurofranc pour ne pas trop frapper les esprits avec franc. De plus eurofranc a un côté techno-monétaire bienvenu à l'époque actuelle, et est euphonique.
Ces obligations verraient rapidement leur rendement augmenter c'est-à-dire leur valeur baisser. Les billets en monnaie nationale de même. Mais les obligations actuelles vont aussi perdre de la valeur. Celles italiennes voient déjà leur rendement exploser, et le prix des CDS qui les garantissent s'envoler.
En tout cas la solution actuelle de vendre des obligations aux Allemands ou celle d'émettre une nouvelle monnaie nationale ne sont pas le jour et la nuit. Ce sont des procédés très comparables. Dans les deux cas, aujourd'hui ils viennent tenter de résoudre une situation déplorable créée par trente ans d'irresponsabilité de l'exécutif. Les 2000 milliards d'euros d'obligations qu'a émises la France pour payer des dépenses courantes c'est déjà de la planche à billet. On n'est pas en train de proposer une solution nouvelle, radicale et représentant un "terrible retour en arrière".
Par ailleurs, j'ai montré à différentes reprises qu'une monnaie unique pour un ensemble de pays est une aberration monétaire, même quand tout va bien. Il faut de toute façon qu'ils aient chacun, en plus, une ou des monnaies locales.
L'euro restera une monnaie utile pour le commerce entre pays, exactement comme dans un groupe d'individus une monnaie, c'est-à-dire un type unique de créance par opposition à un ensemble de n(n-1)/2 types de créances, est commode, et, selon certains critères, optimale.
Enfin on peut se demander comment se fait-il que des millions de gens se soient trompés pendant des dizaines d'années sur la monnaie unique. En fait le cas est courant dans l'histoire, car les phénomènes monétaires sont difficiles à comprendre. Généralement les métaphores utilisées dans les médias ou les conversations de comptoir en matière monétaire sont mauvaises car elles ne capturent pas le caractère double des mouvements de valeur. Par exemple, "la fuite des capitaux" est généralement mal comprise du grand public qui se figure des capitaux qui étaient dans un pays en train de travailler et qui s'en vont. Un autre exemple d'erreur monétaire durable : de Crésus (au milieu du VIe siècle avant Jésus-Christ) jusqu'au début de l'étalon or (vers 1870) on a cru que le bimétallisme était un bon système, alors qu'il créait des quantités de problèmes et permettait (quand il n'y avait pas de seigneuriage trop fort) de fabriquer des machines à sous automatiques.
AC
pour aller plus loin :
https://lapasserelle.com/billets/multiple_currency_monetary_systems.html
https://www.lapasserelle.com/billets/defaut_theorique_monnaie_unique.html
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