HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE, par Bertrand Russell, © 1945

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II.1.3 : TROIS DOCTEURS DE L'EGLISE

Quatre hommes sont appelés Docteurs de l'Eglise d'Occident : Saint Ambroise, Saint Jérôme, Saint Augustin et le pape Grégoire le Grand. Les trois premiers étaient contemporains, tandis que le quatrième appartient à une époque ultérieure. Je vais, dans ce chapitre, donner un aperçu de la vie et de l'époque des trois premiers. Les doctrines du troisième, Saint Augustin, feront l'objet d'un chapitre à part, car il est pour nous le plus important des trois. Et Grégoire le Grand sera aussi abordé dans un autre chapitre.

Ambroise, Jérôme, et Augustin vécurent tous trois durant la brève période entre la victoire de l'Eglise catholique dans l'Empire romain et les invasions barbares du Ve siècle.

[Il en avait eu, cependant, des premières aux frontières de l'Empire, dès le IIe siècle, qui avaient conduit aux désordres du IIIe siècle, à la reprise en main de Dioclétien (règne 285-305), puis aux manoeuvres de Constantin.]

Tous trois étaient de jeunes hommes durant le règne de Julien l'Apostat [c. 331, 361, 363 -- naissance, début de règne, mort] :

[-- Ambroise (340-397) était évêque de Milan, et baptisa Augustin ;]

-- Jérôme (347-420) vécut encore dix années après le sac de Rome par les Goths emmenés par Alaric ;

-- Augustin (354-430) vécut jusqu'à l'irruption des Vandales en Afrique, et mourut tandis qu'ils assiégeaient Hippone, dont il était l'évêque ;

Les grandes invasions du Ve siècle

Immédiatement après leur temps, les maîtres de l'Italie, de l'Espagne et de l'Afrique du Nord étaient non seulement des barbares, mais des hérétiques ariens [ce qui veut dire malgré tout que c'étaient des chrétiens -- ce qui peut surprendre].


Grandes invasions de l'Empire romain, principalement au Ve siècle

La civilisation déclina pour des siècles, et ce n'est qu'environ mille ans plus tard que la chrétienté produisit à nouveau des hommes de leur calibre en matière de savoir et de culture. Pendant tous les siècles obscurs du Moyen Âge [à ne pas confondre avec -1100 à -800 en Grèce, qu'on appelle aussi les "Siècles obscurs"], leur autorité fut révérée ; eux, plus que tout autre, définirent le moule dans lequel l'Eglise prit forme.

Pour résumer leur rôle à grands traits :

-- Saint Ambroise détermina la conception ecclésiastique de la relation entre l'Eglise et l'Etat ;

-- Saint Jérôme donna à l'Eglise occidentale sa Bible en latin et donna son premier essor au monachisme ;

-- tandis que Saint Augustin fixa la théologie de l'Eglise jusqu'à la Réforme [jusqu'aux Scolastiques plutôt ?], et, plus tard, une grande part des doctrines de Luther et Calvin

[en effet à partir des Scolastiques Saint Augustin qui était platonicien, ou néoplatonicien, dans ses doctrines, perdit de son influence dans l'Eglise catholique au profit d'Aristote apporté d'Alexandrie et de Syrie en Occident par les Arabes, mais il continua à être l'inspirateur antique le plus important de la Réforme].

Peu d'hommes surpassèrent ces trois-là en termes d'influence dans l'histoire [on peut citer Pythagore, et peut-être Platon].

L'indépendance de l'Eglise par rapport à l'Etat séculier, comme cela a été prôné avec succès par Saint Ambroise, était une doctrine nouvelle et révolutionnaire, qui prévalut jusqu'à la Réforme ; quand Hobbes la combattit au XVIIe siècle, c'était principalement contre Saint Ambroise qu'il bataillait. Saint Augustin fut au premier plan de la controverse théologique aux XVIe et XVIIe siècles, les Protestants et Jansénistes étant pour lui, et les catholiques orthodoxes contre lui.

Saint Ambroise

La capitale de l'Empire d'Occident, à la fin du IVe siècle, était Milan, dont Ambroise était l'évêque. Ses responsabilités l'amenaient à être constamment en relation avec les empereurs, avec lesquels il traitait habituellement d'égal à égal, parfois même comme leur supérieur [spirituel en particulier]. Ses affaires avec la cour impériale illustrent un contraste général caractéristique de ces temps-là : tandis que l'Etat était faible, incompétent, gouverné par des aventuriers sans principes ni politique au-delà des expédients immédiats, l'Eglise était vigoureuse, capable, guidée par des hommes préparés à sacrifier tout ce qui était leur intérêt personnel au profit de celui de l'Eglise, et avec une politique à si long terme qu'elle fut victorieuse pendant les mille années qui suivirent. Il est vrai que ces mérites furent contrebalancés par le fanatisme et la superstition, mais sans eux aucun mouvement de réforme [de l'Empire romain], à l'époque, n'aurait pu réussir.

Saint Ambroise avait toutes les possibilités pour réussir au service de l'Etat. Son père, aussi nommé Ambroise, était un haut fonctionnaire préfet des Gaules. Le saint est né, probablement, à Augusta Treverorum (aujourd'hui Trèves), une ville frontière et garnison, où les légions romaines étaient stationnées afin de maintenir les Germains à distance. A l'âge de treize ans il fut envoyé à Rome, où il reçut une bonne éducation, incluant de solides bases de grec. Quand il grandit il étudia le droit, dans lequel il excella ; et à l'âge de trente ans il fut nommé gouverneur de Ligurie et d'Emilie. Néanmoins, quatre ans plus tard, il tourna le dos à la carrière administrative séculière, et par acclamation populaire fut élu évêque de Milan contre un candidat arien. Il donna tous ses biens matériels aux pauvres, et consacra le reste de sa vie au service de l'Eglise, courant parfois de grands risques pour sa personne. Ce choix ne fut certainement pas dicté par des motifs matériels, mais, si cela avait été le cas, c'eût été un choix avisé. Au service de l'Etat, même s'il était devenu empereur, ses capacités administratives et d'homme d'Etat n'auraient pas trouvé un terrain d'application aussi vaste que celui dans lequel il exerça ses responsabilités épiscopales.

Pendant les neuf premières années de l'épiscopat d'Ambroise, l'empereur d'Occident était Gratien, qui était catholique, vertueux, et insouciant. Il était si intéressé par la chasse qu'il négligeait le gouvernement, et à la fin fut assassiné. Son successeur, dans la plus grande partie de l'Empire d'Occident, était un usurpateur du nom de Maximus ; mais en Italie la succession passa au jeune frère de Gratien, Valentinien II, qui était encore un enfant. Le pouvoir impérial fut d'abord exercé par sa mère, Justina, la veuve de l'empereur Valentinien I ; mais comme elle était arienne, un conflit entre elle et Saint Ambroise était inévitable.

Des sources écrites très riches

Les trois saints qui nous occupent dans ce chapitre écrivirent d'innombrables lettres, dont la plupart ont été préservées ; la conséquence est que nous en savons davantage sur eux que sur n'importe quel philosophe païen, et davantage aussi, à quelques exceptions près, que sur tous les ecclésiastiques du Moyen Âge. Saint Augustin écrivit des lettres à des quantités de gens les plus variés, portant principalement sur la doctrine ou la discipline de l'Eglise ; les lettres de Saint Jérôme sont adressées principalement à des femmes, donnant des conseils pour préserver la virginité ; mais les lettres les plus importantes et les plus intéressantes de Saint Ambroise sont adressées aux empereurs, leur disant dans quelle mesure ils faillaient dans leurs fonctions, et, à l'occasion, les félicitant au contraire pour les avoir bien remplies.

L'action d'Ambroise

La première question publique dont s'occupa Ambroise concernait l'autel et la statue de la Victoire à Rome. Le paganisme survécut plus longtemps au sein des familles sénatoriales de la capitale qu'ailleurs ; la religion officielle était entre les mains d'une prêtrise aristocratique, et était attachée à la fierté impériale de ceux qui avaient conquis le monde. La statue de la Victoire dans le bâtiment du Sénat avait été enlevée par Constance, le fils de Constantin, puis remise à sa place par Julien l'Apostat. L'empereur Gratien l'ôta à nouveau, après quoi une députation sénatoriale dirigée par Symmachus, Préfet de la Cité, demanda qu'elle fût à nouveau remise en place.

Symmachus, qui joua aussi un rôle dans la vie d'Augustin, était un membre distingué d'une famille distinguée -- riche, aristocratique, cultivée et païenne. Il fut banni de Rome par Gratien en 382 à cause de sa protestation contre le déplacement de la statue de la Victoire, mais pas pour longtemps, puisqu'il était Préfet de la Cité en 384. C'était le grand père du Symmachus, beau-père de Boèce, et qui eut une position éminente durant le règne de Théodoric.

Les sénateurs chrétiens avaient des objections au retour de la statue, et avec l'aide d'Ambroise et du pape Damase [à l'époque le "pape" n'est que l'évêque de Rome, ce n'est qu'avec Grégoire-le-Grand au VIe siècle qu'il commença à prendre de l'autorité sur toute l'Eglise] ils firent prévaloir leurs vues auprès de l'empereur. Après la mort de Gratien, Symmachus et les sénateurs païens envoyèrent une pétition au nouvel empereur, Valentinien II, en 384. Pour contrer cette nouvelle tentative, Ambroise écrivit à l'empereur, mettant en avant la thèse que, de même que tous les Romains devaient un service militaire à leur souverain, lui (l'empereur) devait un service au Dieu Tout Puissant. (Cette thèse semble anticiper l'esprit féodal.)

[On notera que c'est une fois de plus des prophètes éloquents -- en l'occurrence Ambroise -- qui se font porte-parole de leur Dieu, et disent à tout le monde, y compris au souverain, ce qu'il faut qu'ils fassent.

C'est aussi bien sûr le début de la lutte pour le pouvoir suprême entre deux organisations, l'Empire séculier et l'Eglise.]

"Que personne, écrit Saint Ambroise, ne profite de votre jeune âge ; et si c'est un païen qui fait cette demande, il n'est pas juste qu'il lie votre esprit avec les liens de sa propre superstition ; mais par son zèle il devrait... [la suite en anglais car c'est à nouveau du semi charabia de prophète, traduit vers l'anglais par les anglicistes en charabia pour faire solennel] to teach and admonish you how to be zealous for the true faith, since he defends vain things with all the passion of truth." Etre forcé de prêter serment devant l'autel d'une idole, dit-il, est, pour un chrétien, de la persécution. "If it were a civil cause the right of reply would be reserved for the opposing party; it is a religious cause, and I the bishop make a claim... Certainly if anything else is decreed, we bishops cannot constantly suffer it and take no notice; you indeed may come to the Church, but will find either no priest there, or one who will resist you." (Epître XVII)

L'épître suivante souligne que les ressources de l'Eglise servent un but que n'ont jamais servi les richesses des temples païens. "Les possessions de l'Eglise sont au service des pauvres. Qu'ils comptabilisent combien de captifs les temples ont rançonné, quelle nourriture ils ont distribuée aux pauvres, à quels exilés ils ont fourni des moyens de subsistance." C'était un argument qui avait de la portée, et qui était totalement justifié par la pratique chrétienne..

Saint Ambroise emporta la décision, mais un usurpateur qui vint ensuite, Eugène, qui favorisait les païens, restaura l'autel et la statue. C'est seulement après la défait d'Eugène par Théodose en 394 que la question fut définitivement réglée en faveur des chrétiens.


Lutte entre l'Empire et l'Eglise pour l'indépendance de cette dernière, puis pour le pouvoir suprême

Conflit pour qu'une église de Milan soit laissée aux Ariens

L'évêque entretint tout d'abord des relations amicales avec la cour impériale, et il fut envoyé dans une mission diplomatique auprès de l'usurpateur Maximus, dont on craignait qu'il n'envahisse l'Italie. Mais avant longtemps de graves dissensions doctrinales apparurent. L'impératrice Justina, en tant qu'arienne, demanda à ce qu'une église de Milan fût cédée aux Ariens, mais Ambroise refusa. Le peuple se rangea de son côté, et une grande foule pénétra dans la basilique. Des soldats goths, qui étaient des Ariens, furent envoyés pour tenter d'en prendre possession, mais ils fraternisèrent avec le peuple. "Les comtes et les tribuns, dit-il dans une lettre inspirée à sa soeur, sont venus et m'ont engagé à faire rapidement libérer la basilique, disant que l'empereur exerçait son droit, puisque tout était en son pouvoir.

[On note comment une lutte profonde pour le pouvoir suprême est présentée officiellement comme une dispute théologique et juridique. C'est la question de la légitimité, qui je crois agitera les penseurs surtout à partir du XVIIe siècle -- la question de la légitimité divine ne se posant pas dans l'esprit des hommes des époques précédentes.]

J'ai répondu que s'il me demandait ce qui était à moi, c'est-à-dire ma terre, mon argent, ou quoi que ce soit de cette sorte qui fût à moi, je ne le refuserais pas, bien que tout ce que je possède appartienne aux pauvres

[On note aussi l'emploi constant et instrumentalisé des "pauvres" comme si c'était à la fois une malchance et une sainteté d'être pauvre, alors que ce sont la plupart du temps les pires ruffians en puissance. Et naturellement ça glisse au-dessus de la question de savoir pourquoi Dieu a voulu ces pauvres.]

mais que ces choses qui sont à Dieu ne sont pas soumises au pouvoir impérial. 'Si mon patrimoine est requis, entre le prendre ; si c'est mon corps que tu veux, je te suivrai. Veux-tu m'enchaîner, ou me mettre à mort ? Ce sera un plaisir pour moi. Je ne me défendrai pas avec des foules de gens, je ne m'agripperai pas non plus aux autels, ni ne plaiderai pour ma vie, mais me laisserai gaiement tuer pour les autels.' J'ai été frappé d'horreur quand j'ai appris que des hommes armés avaient été envoyés pour prendre possession de la basilique, craignant que tandis que la foule était en train de défendre la basilique, il pût y avoir un massacre qui blesserait toute la ville. J'ai prié pour ne pas survivre à la destruction d'une si belle ville, si ce n'est de toute l'Italie."

Ces craintes n'étaient pas exagérées, car la soldatesque goth était sujette à des explosions de sauvagerie, comme elle en eut une vingt-cinq ans plus tard lors du sac de Rome [en 410 -- on est donc au moment de l'épisode décrit en 385].

La force d'Ambroise provenait du soutien du peuple. Il fut accusé de l'inciter, mais il répondit qu' "il n'est pas en mon pouvoir d'exciter le peuple, mais dans les mains de Dieu de le calmer".

[On note la maîtrise rhétorique d'Ambroise, qui utilise des constructions de style purement formelles, tentant de les faire passer pour de la logique : "je n'ai pas le pouvoir de les exciter (bin voyons -- on dirait du Trump), mais Dieu seul a le pouvoir de les calmer...". Ambroise est un des pères de l'Eglise, car comme Jérôme, Augustin et Grégoire-le-Grand, et quelques autres, il a su très habilement utiliser la détresse et la naïveté des foules -- qui a existé à toutes les époques, y compris maintenant -- et son insatisfaction avec la religion officielle romaine -- d'avant le catholicisme -- pour construire peu à peu, sans disposer de réelles forces armées, le pouvoir de l'Eglise qui est devenu supérieur à celui de l'empereur. Cela donnera la lutte pendant des siècles entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, le pape qui prend la couronne pour la poser sur la tête de Charlemagne, la querelle des investitures, Canossa, etc. La religion officiellement gagnera, mais dans la réalité, les graines de la Réforme et surtout de l'Etat laïc étaient déjà là au moment de sa victoire vers 1200-1300.]

Aucun des Ariens, dit-il, n'osèrent aller plus loin, car il n'y avait pas un Arien parmi les citoyens. Il reçut l'ordre formel de libérer la basilique, et les soldats reçurent l'ordre d'utiliser au besoin la violence. Mais à la fin ils refusèrent d'utiliser la violence, et l'empereur fut forcé de céder. Une grande bataille avait été livrée et remportée par l'Eglise dans son combat pour l'indépendance ecclésiastique ; Ambroise avait démontré qu'il y avait des domaines où l'Etat devait céder le pas à l'Eglise, et il avait ainsi établi un nouveau principe qui garde encore son importance de nos jours.

[Ecrit vers 1940 aux Etats-Unis. Depuis, dans le monde occidental, l'Eglise a encore perdu du terrain. Au XXIe siècle, affaiblie par les scandales sexuels qui éclatent enfin au grand jour, et par la déchristianisation officielle au profit de croyances sectaires de toute sorte, l'Eglise catholique, qui existe depuis vingt siècles, a entamé l'étape finale de sa disparition.

Il serait cependant illusoire de penser qu'elle sera remplacée par mieux.]

Conflit avec l'empereur Théodose

Son conflit suivant fut avec l'Empereur Théodose. Une synagogue avait été brûlée, et le Comte d'Orient rapportait que cela avait eu lieu à l'instigation de l'évêque local [un évêque de moindre importance qu'Ambroise]. L'Empereur ordonna que les incendiaires fussent punis, et que l'évêque reconstruisît la synagogue. Saint Ambroise ne reconnaît ni ne dénie la complicité de l'évêque, mais s'indigne que l'Empereur semble soutenir le parti juif contre le parti chrétien. Supposez que l'évêque refuse ? Il va devoir devenir un martyr s'il persiste, ou un apostat s'il cède. Supposez que le Comte décide de reconstruire la synagogue lui-même aux frais des chrétiens ? Dans ce cas l'Empereur aura un Comte apostat, et l'argent des chrétiens sera confisqué pour soutenir des incroyants.

"Va-t-on faire une place à l'incroyance des juifs en dépouillant pour ce faire l'Eglise ; et le patrimoine, que par la faveur du Christ les chrétiens ont gagné, va-t-il être transféré vers les trésors des incroyants ?" Il poursuit : "Mais peut-être le sens de la discipline guide ton geste, Ô Empereur. Auquel cas il serait plus important pour toi de faire appliquer la discipline plutôt que de soutenir la cause de la religion ? Il faut que le jugement cède le pas à la religion. N'as-tu pas entendu, Ô Empereur, comment, quand Julien [l'Apostat] donna l'ordre de reconstruire le Temple de Jérusalem, ceux qui nettoyèrent les décombres périrent dans les flammes ?"

Il est clair que, selon l'opinion du Saint, la destruction de synagogues ne doit être punie en aucune façon. C'est un exemple de la façon dont, dès qu'elle acquit du pouvoir, l'Eglise commença à stimuler l'anti-sémitisme.

Troisième conflit

Le conflit suivant entre l'empereur et le saint fut plus honorable pour ce dernier. En 390 anno domini, quand Théodose était à Milan, une foule à Thessalonique assassina le capitaine de la garnison. Théodose, lorsqu'il apprit la nouvelle, fut saisi d'une irrépressible fureur, et ordonna d'abominables représailles. Quand le peuple fut rassemblé dans un cirque, les soldats lui tombèrent dessus, et massacrèrent au moins sept mille personnes dans une tuerie aveugle. C'est alors qu'Ambroise, qui s'était efforcé de contenir la colère de l'empereur, mais en vain, lui écrivit une lettre pleine d'un splendide courage, sur un point de pure morale, ne comprenant, pour une fois, aucune mention de théologie ou du pouvoir de l'Eglise :

"Ce qui a été fait dans la ville de Thessalonique n'a aucun précédent, et je n'ai pas été capable de le prévenir ; j'avais pourtant dit que ce serait abominable et j'avais écrit plusieurs pétitions contre cet acte de barbarie."

David a péché à plusieurs reprises, et il confessa ses péchés en faisant acte de pénitence. (Cette allusion au Livres de Samuel démarre une ligne d'argumentation biblique contre les rois qui persista durant tout le Moyen Âge, et même lors du conflit entre les Puritains et les Stuarts. Elle apparaît par exemple dans Milton.) Théodose fera-t-il de même ? Ambroise décide que "Je n'oserai pas dire la messe si vous avez l'intention d'être présent. Ce qui est interdit après avoir versé le sang d'une personne innocente, est-il permis après avoir versé le sang d'une multitude ? Je ne le pense pas."

L'empereur se repentit, et, ayant quitté la pourpre, fit une pénitence publique dans la cathédrale de Milan. A partir de ce moment et jusqu'à sa mort en 395, il n'eut plus de friction avec Ambroise.

Ambroise, tout en étant un homme d'Etat remarquable, était, à d'autres égards, simplement typique de son temps. Il écrivit, comme d'autres auteurs ecclésiastiques, un traité louant la virginité, et un autre critiquant le remariage des veuves. Quand il se décida pour le site de sa nouvelle cathédrale, deux squelettes (révélés dans une vision, disait-on) furent commodément découverts à l'endroit choisi ; on découvrit qu'ils accomplissaient des miracles ; et il déclara que c'étaient ceux de deux martyrs. Il relate d'autres miracles dans ses lettres, avec toute la crédulité caractéristique de son époque. Il était inférieur à Jérôme en termes d'érudition, et à Augustin en terme de philosophie. Mais en tant qu'homme d'Etat [au service de l' "Etat" que commençait à devenir l'Eglise], qui consolida avec courage et savoir-faire la puissance de l'Eglise, il a sa place au premier rang.

Saint Jérôme

L'histoire se souvient surtout de Jérôme comme de celui qui a traduit la Bible [de l'hébreu, l'araméen et le grec] en latin, ce qui donna la Vulgate, qui reste à ce jour la version officielle de la Bible pour l'Eglise catholique. Jusqu'à l'époque de Jérôme, l'Eglise d'Occident s'appuyait, pour l'Ancien Testament, principalement sur des traductions faites à partir de la Septante [on se rappelle que c'est une traduction en grec faite à Alexandrie par les juifs pour leur propre usage, c'est-à-dire pour ceux d'entre eux qui ne parlaient plus l'hébreu]. Mais la Septante différait en des points importants de l'original en hébreu [pourquoi diable ?].

[On note déjà un souci d'accès "aux sources originales" pour les textes bibliques, de la part des chrétiens, comme si les textes les plus anciens avaient plus de valeur, "étaient plus proches de la parole divine", que ceux modifiés plus tard à Alexandrie. C'est le début d'une sorte de vénération magique pour "la Bible" -- ce qui n'a pas empêché même la Vulgate de contenir des erreurs de traduction. Au début de la Réforme Luther traduisit aussi la Bible [à partir du grec, de l'hébreu et de l'araméen ?] pour avoir un texte à la fois plus fidèle à son sens à l'original, et aussi un texte en allemand qui pouvait lire tout le monde. Les Anglais firent de même avec la Bible de Saint James, au début du XVIIe siècle, je crois -- il y a aussi celle de Wyclif qui la précède.]

Les chrétiens étaient de l'opinion que les juifs, depuis l'essor de la chrétienté, avaient falsifié le texte hébreu, là où il semblait prédire l'avènement du Messie. C'était un point de vue qu'une solide érudition révélait indéfendable, et que Jérôme du reste rejetait fermement. Il accepta l'aide de rabbins, qui lui donnèrent secrètement par crainte des autres juifs. Pour se défendre lui-même contre les critiques des chrétiens il disait : "Que celui qui remet en cause quoi que ce soit dans cette traduction demande lui-même aux juifs." A cause de son acceptation du texte hébreu dans la forme que les juifs considéraient comme correcte, sa version fut accueillie, du moins au début, avec hostilité ; mais elle finit par gagner le respect, en partie parce que Saint Augustin dans l'ensemble la défendait. C'était un travail remarquable, montrant de grandes connaissances philologiques.

Cinq ans ermite en Syrie

Jérôme était né en 345 - cinq ans après Ambroise -- non loin d'Aquila, dans une ville nommée Stridon, qui fut détruite par les Goths en 377. Sa famille était aisée, sans être riche. En 363, il fut envoyé à Rome, où il étudia la rhétorique, et pécha. Après avoir voyagé en Gaule, il s'établit à Aquila, et devint ascète. Il passa les cinq années suivantes en ermite dans le désert syrien. "Sa vie quand il était dans le désert fut celle d'une rigoureuse repentance, de pleurs et de douleurs alternant avec des moments d'extase spirituelle, et aussi des tentations qui le hantaient avec les souvenirs de sa vie romaine ; il vivait dans une cellule aménagée dans une caverne ; il gagnait son pain, et était vêtu avec de la toile de sac." (Select Library of Nicene and Post-Nicene Fathers, Vol. VI, p. 17.) Après cette période, il voyagea à Constantinople, puis vécut à Rome pendant trois ans, où il devint l'ami et le conseiller du pape Damase, avec les encouragements duquel il entreprit sa traduction de la Bible.

Un homme querelleur

Saint Jérôme était un homme qui eut de nombreuses querelles. Il se fâcha avec Saint Augustin sur le comportement quelque peu critiquable de Saint Pierre, tel que raconté par Saint Paul dans sa deuxième épître aux Galates ; il rompit avec son ami Rufinus au sujet d'Origène ; et il fut si véhément contre Pélage que son monastère fut attaqué par une foule de supporters de Pélage. Après la mort de Damase, il semble s'être disputé avec le nouveau pape ; tandis qu'il était à Rome, il avait noué connaissance avec différentes dames à la fois aristocratiques et pieuses, dont certaines qu'il persuada d'adopter une vie ascétique. Le nouveau pape, partageant le point de vue de beaucoup à Rome, n'aimait pas cela. Pour cette raison et pour d'autres, Jérôme partit pour Bethlehem, où il vécut de 386 à sa mort en 420.

Relations avec les femmes

Parmi les femmes distinguées qu'il convertit, deux sont notables : la veuve Paula et sa fille Eustochium. Ces deux dames l'accompagnèrent lors de son long voyage avec beaucoup de détours qui le conduisit à Bethlehem. Quand Paula mourut et fut enterrée à Bethlehem, Jérôme composa une épitaphe pour sa tombe :

Dans cette tombe repose une enfant de Scipion,
Une fille de la célèbre maison pauline,
Une scion des Gracques, de la fibre d'Agamemnon lui-même, illustre :
Ici repose Dame Paula, bienaimée de ses deux parents, avec Eustochium pour fille ;
Elle la première des dames romaines qui choisirent la rigueur pour vie, et Bethlehem pour Christ

Lettres aux femmes

Certaines lettres de Jérôme à Eustochium sont curieuses. Il lui donne des conseils sur la préservation de sa virginité, très détaillées et franches ; il explique le sens anatomique exact de certains euphémismes de l'Ancien Testament ; et il emploie une sorte de mysticisme érotique en louant les joies de la vie conventuelle. Une nonne est une fiancée du Christ ; ce mariage est célébré dans le Chant de Salomon. Dans une longue lettre écrite au temps où elle prononça ses voeux, il adresse un message remarquable à sa mère : "Etes-vous fâchée qu'elle choisisse d'être l'épouse d'un roi (le Christ) et non celle d'un soldat ? Elle vous confère un grand privilège ; vous êtes désormais la belle-mère de Dieu."

A Eustochium elle-même, dans la même lettre (XXII), il dit :

"Que votre chambre réservée à vous seule vous protège ; que le Fiancé [le Christ] reste avec vous. Priez-vous ? Vous parlez au Fiancé. Lisez-vous ? Il vous parle. Quand le sommeil vous saisit, Il viendra derrière vous et mettra Sa main dans le trou de la porte, et votre coeur sera mu par Lui ; et vous vous réveillerez et vous lèverez et direz : 'Je suis malade d'amour.' Alors Il répondra : 'Un jardin enclos est ma soeur, mon épouse ; une source fermée, une fontaine scellée.'"

[On note que tous les gourous laveurs de cerveau de toutes les sectes du monde emploient ce genre de langage délirant, mais que celui de Jérôme est particulièrement équivoque sur les pratiques qu'il recommande à la fille.]

Dans la même lettre il relate comment, après s'être séparé de ses amis, "et -- plus dur encore -- de la nourriture délicate à laquelle j'étais accoutumé," il ne pouvait toujours pas supporter d'être séparé de sa bibliothèque, et il l'emporta avec lui dans le désert. "Et alors, si misérable que j'étais, je jeûnais seulement pour ensuite pouvoir lire Cicéron." Après des jours et des nuits de remords, il trébuchait à nouveau, et lisait Plaute. Après une telle indulgence [pour ses vices de lecture], le style des prophètes semblait "rude et repoussant". Enfin, durant une fièvre, il rêva qu'au Jugement dernier, le Christ lui demandait qui il était, et il répondait qu'il était un chrétien. La réponse vint : "Tu mens, tu es un partisan de Cicéron et pas du Christ." Alors il fut ordonné qu'il soit fouetté. A la fin, Jérôme, dans son rêve, pleura : "Seigneur, si je possède encore des livres s'occupant de choses terrestres, ou bien si je lis encore de tels livres, je Te renie." Ceci, ajoute-t-il, "n'était pas le sommeil ni un rêve léger." (Cette hostilité à la littérature païenne perdura dans l'Eglise jusqu'au XVIIe siècle, sauf en Irlande, où les dieux olympiens n'avaient jamais été révérés, et n'étaient donc pas craints par l'Eglise.)

Après cela, pendant quelques années, ses lettre contiennent peu de citations classiques. Mais après un certain temps il rechute à nouveau dans des vers de Virgile, Horace et même Ovide. Ils semblent, cependant, lui venir de mémoire, particulièrement étant donné que certains sont répétés fréquemment.

Les lettres de Jérôme expriment les sentiments causés par la chute de l'Empire romain avec plus de vérité que toute autre connue de moi. En 396 il écrit :

"Je tremble quand je pense aux catastrophes de notre temps. Pendant vingt ans et plus le sang des Romains a été versé quotidiennement, entre Constantinople et les Alpes juliennes [nom donné à une petite section alpine au-dessus de Trieste]. La Scythie [Kazakhstan et Ukraine actuels], la Thrace, la Macédoine, la Dacie, la Thessalie, l'Achaïe, l'Epire, la Dalmatie, les Pannonies -- toutes et chacune ont été mises à sac et pillées par les Goths et les Sarmates, les Quades et les Alains, les Huns et les Vandales, les hommes des Marches... Le monde romain s'effondre : cependant nous tenons nos têtes relevées au lieu de plier le cou. Quel courage, pensez-vous, ont les Corinthiens aujourd'hui, ou les Athéniens ou les Lacédémoniens ou les Arcadiens, ou tous les autres Grecs face aux Barbares qui aujourd'hui les dominent ? Je n'ai mentionné que quelques villes, mais celles-ci furent à une époque les capitales d'Etats puissants."

[Les grandes invasions ont commencé dès la deuxième moitié du IVe siècle -- les années 350 à 400. Mais, en fait, des attaques de l'Empire à ses frontières avaient commencé dès la deuxième moitié du deuxième siècle, années 150 à 200.]

Achaïe Scythie en -100 av J.-C. (échelle plus petite, pour représenter plus de territoire)

Il poursuit en racontant les ravages des Huns à l'Est, et termine avec la réflexion suivante : "Pour traiter ces thèmes comme ils le méritent, Thucydide et Salluste seraient bien insuffisants."

Dans un autre écrit, dix-sept ans plus tard, trois ans après le sac de Rome [qui eut lieu en 410, donc R. met la date de l'écrit précédent à 413 - 17 = 396, comme effectivement dit plus haut], il écrit :

"Le monde tombe en ruine : oui ! Mais on a honte d'observer que nos péchés continuent à prospérer. La ville renommée, la capitale de l'Empire romain, est engloutie dans un immense incendie ; et il n'y a plus d'endroits sur terre où les Romains ne soient des exilés. Des églises qui avaient été consacrées sont maintenant des tas de poussières et de cendres ; et cependant nos esprits sont toujours habités par l'appât du gain. Nous vivons comme si nous allions mourir demain ; mais nous construisons comme si nous allions vivre pour toujours dans ce monde. Nos murs brillent avec de l'or, nos plafonds aussi ainsi que les chapiteaux de nos colonnes ; pourtant le Christ meurt devant nos portes nu et affamé en la personne de Son pauvre."

[Parlant d'églises, à vrai dire les envahisseurs en ont préservées un grand nombre où les habitants des villes envahies purent souvent trouver refuge.]

Le passage ci-dessus n'apparaît qu'incidemment dans une lettre à un ami qui a décidé de consacrer sa fille à la virginité perpétuelle, la plus grande partie de la lettre étant concernée par les règles à observer dans l'éducation des filles ainsi destinées. Il est étrange qu'avec tous les sentiments profonds qu'éprouve Jérôme à la vue de l'effondrement de l'ancien monde, il pense que la préservation de la virginité est plus importante que la victoire sur les Huns et les Vandales et les Goths.

Absence étonnante de préoccupations pratiques pour combattre les envahisseurs

Pas une fois ses pensées se tournent vers une quelconque mesure pratique d'homme d'Etat ; pas une fois il ne dénonce les maux du système fiscal, ou le fait que l'armée romaine, à la fin du IVe siècle, était composée essentiellement de barbares. La même chose peut être dite d'Ambroise et d'Augustin ; Ambroise, il est vrai, était un homme d'Etat, mais seulement pour le compte de l'Eglise.

Il ne faut pas s'étonner que l'Empire sombrât dans la ruine quand tous les esprits les plus vigoureux de l'époque étaient si complètement détachés des préoccupations pratiques. D'un autre côté, si la ruine était inévitable, la vision chrétienne était admirablement adaptée pour donner aux hommes du courage, et pour leur permettre de préserver leurs espoirs religieux quand ceux terrestres semblaient si vains. L'expression de ce point de vue, dans la Cité de Dieu, est le suprême mérite de Saint Augustin.

Saint Augustin

Sur Saint Augustin, je ne vais, dans ce chapitre, parler que de l'homme ; les idées et doctrines du théologien et du philosophe seront abordées dans le chapitre suivant.

Il est né en 354, neuf ans après Jérôme, et quatorze après Ambroise ; c'est un Africain [sans doute foncé de peau], et il passa en Afrique du Nord la plus grande partie de sa vie. Sa mère était chrétienne, mais son père ne l'était pas. Après une période durant laquelle il était manichéen, il devint catholique et fut baptisé par Ambroise à Milan. Il devint évêque d'Hippone, non loin de Carthage [dans la partie orientale de la côte algérienne actuelle], vers 396. Il y demeura jusqu'à sa mort en 430.

Sur sa vie dans sa jeunesse nous savons beaucoup plus que dans le cas de la plupart des ecclésiastiques, parce qu'il l'a racontée dans ses Confessions. Ce livre a eu des imitateurs célèbres, en particulier Rousseau et Tolstoï, mais je ne crois pas qu'il ait eu de prédécesseur comparable. Saint Augustin par certains égards est similaire à Tolstoï, à qui, cependant, il est supérieur pour l'intellect. C'était un homme passionné, qui fut dans sa jeunesse très éloigné de la vertu, mais fut poussé pour une force interne à rechercher la vérité et la droiture. Comme Tolstoï, il était, plus tard dans sa vie, obsédé par un sens du péché, qui rendit sa vie austère et sa philosophie inhumaine. Il combattit les hérésies vigoureusement, mais certaines de ses vues, quand elles furent reprises par Jansénius, furent déclarées hérétiques. Jusqu'à ce que les Protestants adoptent ses opinions, cependant, l'Eglise catholique ne remit jamais en cause leur orthodoxie.

Obsession du péché

L'un des premiers incidents de sa vie qu'il relate dans ses Confessions survint dans sa jeunesse, et ne le distinguait, en lui-même, des autres garçons. Il apparaît qu'avec d'autres camarades de son âge, il pilla le poirier d'un voisin, bien qu'il n'eût pas faim, et que ses parents eussent de meilleures poires à la maison. Il continua toute sa vie à considérer cet acte comme d'une malignité insigne. Cela n'aurait pas été aussi grave s'il avait été affamé, ou s'il n'avait pas d'autres moyens de se procurer des poires ; mais, tel qu'il apparaît, il s'agit d'un acte de pure malignité. Il implore Dieu de lui pardonner :

[Et maintenant un peu de charabia des anglicistes hellénisant d'Oxford et Cambridge] "Behold my heart, O God, behold my heart, which Thou hadst pity upon in the bottom of the abyss. Now, behold, let my heart tell Thee, what it sought there, that I should be gratuitously wicked, having no temptation to that evil deed, but the evil deed itself. It was foul, and I loved it; I loved to perish, I loved mine own fault, not that for the sake of which I committed the fault, but my fault itself I loved. Foul soul, falling from the firmament to expulsion from Thy presence; not seeking aught through the shame, but the shame itself!" (Confessions, Bk. II, Ch. IV. )

"Regarde mon coeur, ô mon Dieu, regarde mon coeur, pour lequel tu as eu pitié au fond des abysses. Maintenant, regarde, laisse mon coeur te dire ce que je cherchais, que j'étais mauvais gratuitement, n'ayant aucun désir pour le résultat, mais seulement pour l'acte mauvais lui-même. C'était mauvais, et j'ai adoré ; j'aimais m'abymer dans le mal, j'aimais mon propre mal, pas pour le but que je poursuivais, mais ma faute elle-même. Âme répugnante, tombée du firmament expulsée par Ta présence ; ne recherchant rien à travers la honte, que la honte elle-même !" (Confessions, Livre II, Chapitre IV).

[Il y a de la complaisance -- et de la répétition -- dans cet aveu à Dieu de la malignité d'Augustin. Comme si du reste, Dieu ne le savait pas déjà ! C'est une des contradictions des chrétiens : ils passent leur temps à dire que Dieu sait tout, mais en même temps lui parlent, lui expliquent des choses, argumentent, se repentent, bref se complaisent.

Quand on comprend que "Dieu" n'est pas le nom d'un autre être, suprême, divin, créateur, à l'origine de tout, etc., mais celui d'une loi et d'une folie internes à certains hommes -- dont Augustin et Tolstoï -- alors tout devient clair. Cela explique le fanatisme qui est toujours juste au-dessous de la surface dans l'attitude même des plus tolérants apparemment, qui ne le sont que parce qu'ils n'ont pas le choix dans une société laïque et (un peu) rationnelle.]

Il continue ainsi pendant sept chapitres, et tout ça au sujet de quelques poires dérobées sur un arbre lors d'une gaminerie de jeunesse. A un esprit moderne, cela semble morbide (je fais une exception pour Mahatma Gandhi, dont l'autobiographie contient des passages très similaires à celui ci-dessus) ; mais à l'époque où écrivait Augustin [milieu du premier millénaire], cela semblait correct et la marque de la sainteté.

Origine du sens du péché

Le sens du péché, qui était très fort à l'époque d'Augustin, vint d'abord aux juifs [avant l'émergence de la secte chrétienne] comme un moyen de réconcilier logiquement le sens de leur propre importance avec leur défaite dans le monde externe [la captivité à Babylone par exemple, qui ne pouvait s'expliquer -- d'après leurs prophètes -- que par les péchés d'Israël]. Yahvé était omnipotent, et Yahvé portait un intérêt particulier aux Juifs ; pourquoi, alors, ne prospéraient-ils pas ? Parce qu'ils étaient mauvais : c'était des idolâtres, ils épousaient des gentilles, ils ne suivaient pas les prescriptions de la Loi. Les vues de Dieu étaient centrées sur les Juifs, mais, puisque la droiture est le plus grand des biens, et qu'il faut faire un peu de chemin pour y parvenir, ils doivent d'abord être châtiés, et doivent reconnaître leur châtiment comme la marque de l'amour paternel divin.

La notion de péché, son évolution, et son influence sur la théologie et la politique

Les chrétiens mirent l'Eglise à la place du Peuple élu. Cependant, sauf à un égard, cela ne fit pas grande différence dans la psychologie vis-à-vis du péché. L'Eglise, comme les Juifs, a traversé des tribulations ; l'Eglise a été perturbée par des hérésies ; des chrétiens individuels tombèrent en apostasie sous la pression de la persécution. Il y avait un développement important, déjà apparu dans une large mesure chez les Juifs, et qui concerne la notion de péché commun. A l'origine, c'était la nation juive qui avait péché, et qui était collectivement punie ; mais plus tard, déjà chez les juifs, le péché devint plus personnel, perdant ce faisant son caractère politique.

Quand l'Eglise fut substituée à la nation juive [par les chrétiens], ce changement devint essentiel, puisque l'Eglise, en tant qu'entité spirituelle, ne pouvait pas pécher. C'était les pécheurs individuels qui pouvaient cesser d'être en communion avec l'Eglise. Le péché, comme nous l'avons dit plus haut, est lié à la notion de self-importance [et est utilisé pour expliquer qu'on peut à la fois être important aux yeux de Dieu et souffrir des malheurs -- comme Notre-Dame qui brûle]. A l'origine, l'importance était celle de la nation juive, mais par la suite cela devint celle de l'individu -- pas de l'Eglise, car l'Eglise ne péchait jamais.

C'est ainsi que la théologie chrétienne en vint à avoir deux parties, une concernée par l'Eglise, et une concernée par l'âme individuelle. Plus tard [au XVIe siècle], la première partie fut soulignée par les catholiques, et la seconde par les protestants, mais dans Saint Augustin [au IVe et Ve siècles] les deux coexistent sur un pied d'égalité, sans qu'il y ait de sens de manque d'harmonie. Ceux qui sont sauvés sont ceux que Dieu a prédestinés pour le salut ; c'est une relation directe entre l'âme et Dieu. Mais personne ne pourra être sauvé s'il n'est d'abord baptisé, et est ainsi devenu un membre de l'Eglise ; cela fait de l'Eglise un intermédiaire entre l'âme et Dieu.

Le péché est ce qui est essentiel dans la relation directe, puisqu'il explique comment une déité bienveillante peut néanmoins laisser les hommes souffrir, et comment, malgré cela, les âmes individuelles peuvent être ce qui est le plus important dans la Création. Il n'est donc pas surprenant que la théologie jusqu'à la Réforme ait reposé sur un homme dont le sens du péché était anormal.

En voila assez sur les poires. Tournons-nous vers ce que les Confessions ont à dire sur d'autres sujets.

Autres éléments biographiques sur Augustin

Augustin raconte comment il a appris le latin, sans difficulté, dans le giron de sa mère, mais pourquoi il détestait le grec, qu'on avait cherché à lui apprendre à l'école, où "il recevait souvent des menaces véhémentes et cruelles". Jusqu'à la fin de sa vie, sa connaissance du grec resta mince. On pourrait penser qu'il en aurait tiré des conclusions en faveur des méthodes douces d'éducation. Ce qu'il dit cependant est ceci :

"Il est très clair, donc, que la curiosité laissée libre a plus de pouvoir de nous faire apprendre ces choses que des obligations terrifiantes. Seule cette obligation empêche pourtant les divagations de cette liberté, par Tes lois, Ô mon Dieu, Tes lois... from the master's rod to the martyr's trials, for Thy laws have the effect of mingling for us certain wholesale bitters, which recall us to Thee away from that pernicious blithesomeness, by means of which we depart from Thee."

Les coups du maître, bien qu'ils échouèrent à lui faire apprendre le grec, le soignèrent contre le bonheur pernicieux de se sentir libre, et furent, sur ce plan, une partie désirable de l'éducation. Pour ceux qui placent le péché au centre des préoccupations humaines, c'est un point de vue logique. Il poursuit en soulignant qu'il pécha, non seulement quand il était écolier, quand il mentait et volait de la nourriture, mais même encore avant ; en effet, il consacre un chapitre entier (Livre I, chapitre VII) pour démontrer que même les enfants au sein sont remplis de péché -- gloutonnerie, jalousie, et d'autres vices horribles.

Quand il atteignit l'adolescence, les désirs de la chair le submergèrent. "Where was I, and how far was I exiled from the delights of Thy house, in that sixteenth year of the age of my flesh, when the madness of lust which hath licence through man's viciousness, though forbidden by Thy laws, took the rule over me, and I resigned myself wholly to it?" (Confessions, Bk. II, Ch. II.)

"Où étais-je, et comme j'étais éloigné des délices de Ta maison en cette seizième année de l'âge de ma chair, quand la folie du désir, qui a libre cours à cause du vice de l'homme, bien qu'interdit par Tes lois, s'empara de moi, et que je me résignais à m'abandonner totalement à lui ?" (Confessions, Livre II, chapitre II).

Son père ne se soucia pas d'empêcher ce mal, se bornant à aider Augustin dans ses études. Sa mère, Sainte Monique, au contraire, l'exhorta à la chasteté, mais en vain. Et elle ne suggéra même pas, à cette époque, le mariage "de crainte que mes perspectives ne fussent encombrées par une femme".

A l'âge de seize ans il alla à Carthage, "où bouillonnait autour de moi le chaudron des amours illicites." "I loved not yet, yet I loved to love, and out of a deep-seated want, I hated myself for wanting not. I sought what I might love, in love with loving, and I hated safety... To love then, and to be beloved, was sweet to me; but more, when I obtained to enjoy the person I loved. I defiled, therefore, the spring of friendship with the filth of concupiscence, and I beclouded its brightness with the hell of lustfulness."

Ces mots [amphigouriques] décrivent en réalité sa relation avec une maîtresse qu'il aima fidèlement de nombreuses années, qui lui donna un fils -- fils qu'Augustin aima aussi, et à l'éducation religieuse de qui, après sa conversion, il apporta beaucoup de soin.

Le temps vint où sa mère et lui pensèrent qu'il fallait songer à se marier. Il se fiança avec une très jeune fille que sa mère approuva ; et il fut jugé nécessaire qu'il rompît avec sa maîtresse. "Quand ma maîtresse, dit-il, fut arrachée à mon côté car elle gênait mon mariage, mon coeur qui lui était resté attaché fut déchiré et blessé, et saigna. Elle retourna en Afrique (Augustin était à ce moment-là à Milan), jurant devant Toi qu'elle ne connaîtrait aucun autre homme, et me laissant avec moi mon fils."

Cependant, comme son mariage ne pouvait pas avoir lieu avant deux ans, à cause du très jeune âge de la fiancée, il prit une autre maîtresse, moins officielle et dont on parle moins. Sa conscience le troublait de plus en plus, et il avait pour habitude de prier : "Donne-moi la chasteté et la continence -- seulement pas tout de suite." Enfin, avant que le temps du mariage ne vint, la religion avait complètement gagné Augustin, et il vécut le reste de sa vie dans le célibat.

Etude de la philosophie, influence de Cicéron

Revenant un peu en arrière : dans sa dix-neuvième année, ayant acquis la maîtrise de la rhétorique, il fut rappelé vers la philosophie par Cicéron. Il chercha à lire la Bible, mais jugea qu'elle manquait de dignité cicéronienne. C'est à cette époque qu'il devint manichéen, ce qui rendit fort malheureuse sa mère. Par profession, c'était maintenant un professeur de rhétorique. Il avait une addiction pour l'astrologie, à laquelle, plus tard dans sa vie, il devint très opposé car elle enseigne "que la cause inévitable du péché est dans le ciel". Il lut de la philosophie, pour autant qu'on pouvait en lire en latin ; il mentionne plus particulièrement les Dix Catégories d'Aristote que, dit-il, il comprit sans l'aide d'un professeur. "Et qu'est-ce que tout cela m'apporta, d'avoir lu, moi, le plus vil esclave des passions, par moi-même tous les livres des soi-disant "matières libérales" ; et d'avoir compris ce que je lisais ?... Car j'avais le dos tourné vers la lumière, et mon visage tourné vers les choses elles-mêmes éclairées ; donc mon visage... lui-même ne l'était donc pas"

[bel exemple de rhétorique élégante et creuse !]

A cette époque, il croyait que Dieu était un corps vaste et brillant, et que lui Augustin faisait partie de ce corps. On aimerait qu'il ait expliqué en détail les éléments du credo manichéen, au lieu de simplement dire qu'ils étaient erronés.

Manichéisme

Il est intéressant de noter que les premières raisons de Saint Augustin pour rejeter les doctrines du manichéisme étaient scientifiques. Il se rappela -- nous dit-il -- ce qu'il avait appris en astronomie depuis les écrits des meilleurs astronomes, "et je les comparais avec les déclarations de Manicheus [appelé aussi Mani ou Manès (216-274 ou 277)], qui dans sa folie avait beaucoup écrit sur ces sujets ; mais aucun de ses raisonnements [de Manicheus] sur les solstices, ni les équinoxes, ou les éclipses ou quoi que ce soit de cette sorte, sujets que je connaissais déjà par les livres de philosophie séculière, ne me satisfaisait. Mais on me commandait de croire ; et pourtant ça ne correspondait pas aux raisonnements obtenus par des calculs, ni à mes propres observations, et était en fait tout à fait contraire". Il prend soin de noter que les erreurs scientifiques ne sont pas en elles-mêmes un signe d'erreur relative à la foi, mais le deviennent seulement quand elles sont énoncées avec un air d'autorité comme si elles provenaient d'une inspiration divine. On se demande ce qu'il aurait pensé s'il avait vécu à l'époque de Galilée.

Dans l'espoir de résoudre ses doutes, il rencontra un évêque manichéen nommé Faustus, qui avait la réputation d'être le membre le plus instruit de la secte, pour discuter avec lui. Mais "je trouvais qu'il était profondément ignorant sur les matières libérales, sauf la grammaire, et même là ses connaissances étaient banales. Mais, parce qu'il avait lu certaines Oraisons de Tully, et un petit nombre de livres de Sénèque, quelques petites choses des poètes, et qu'il avait lu les quelques livres de sa secte qui avaient été écrits en latin, et qu'il parlait tous les jours, il avait acquis une certaine éloquence, qui était d'autant plus agréable et séduisante qu'il l'employait avec humour et une certaine grâce".

[C'est amusant de voir un faiseur en matière d'éloquence critiquer un autre faiseur en matière d'éloquence.

L'éloquence et la rhétorique, telles que je les comprends, et telles qu'elles sont encore enseignées dans les écoles de commerce, consistent à habiller des oripeaux de la logique et avec des effets de style, délibérément trompeurs, des arguments quelconques, comme on a vu Augustin le faire lui-même.

On apprend dans ces écoles à défendre un point de vue, puis à défendre le point de vue opposé. Ça peut être utile jusqu'à un certain point pour dégrossir une question. Mais c'est contraire à la méthode scientifique qui n'a que faire d'arguments séduisants pour établir des connaissances.

Ceci dit, la méthode scientifique ne construit que des modèles, qui sont toujours provisoires, tant qu'ils n'ont pas été infirmés.]

Il trouva que Faustus était bien incapable de résoudre ses difficultés astronomiques. Les livres des manichéens, nous dit-il, "sont remplis de longues fables, sur les cieux, les étoiles, le soleil, et la lune", qui sont en désaccord avec ce qu'ont découvert les astronomes ; mais quand il questionna Faustus à ce sujet, Faustus confessa honnêtement son ignorance. "Même pour cela je l'aimais encore davantage. Car la modestie d'un homme candide est plus attrayante que la connaissance des choses que je désirais avoir ; et c'est ainsi que je le connus, dans toutes les questions les plus subtiles et les plus difficiles"."

Ce sentiment, exprimé par Augustin, est étonnamment libéral ; on ne s'y attendrait pas à son époque. Cela ne correspond pas non plus avec l'attitude qu'adopta plus tard Augustin face aux hérétiques.

Séjour un an à Rome

A cette époque, il décida de se rendre à Rome, non, dit-il, parce que les émoluments payés à un professeur y étaient plus élevés qu'à Carthage, mais parce qu'il avait entendu dire que les classes étaient plus ordonnées. A Carthage, les chahuts par les élèves rendaient l'enseignement presque impossible ; mais à Rome, tandis que les classes étaient plus calmes, les étudiants se débrouillaient souvent pour ne pas payer.

A Rome, il fréquentait encore les Manichéens, mais moins convaincu qu'ils détenaient la vérité. Il commença à penser que les Académies avaient raison quand elles disaient que les hommes devaient douter de tout. Il était, cependant, toujours d'accord avec les Manichéens pour penser "que ce n'est pas nous qui péchons, mais une autre nature en nous (que, je ne connais pas) qui pèche à notre place", et il pensait que le Mal était une sorte de substance. Cela montre clairement qu'avant comme après sa conversion, la question du péché le préoccupait.

Séjour à Milan

Après environ un an à Rome, il fut envoyé à Milan par le préfet Symmachus, en réponse à une demande de cette ville qu'on lui envoie un professeur de rhétorique. A Milan il devint familier d'Ambroise, "connu du monde entier pour être un des meilleurs hommes". Il en vint à beaucoup aimer Ambroise pour sa gentillesse, et à préférer la doctrine des catholiques à celles des manichéens ; mais pendant un moment il fut retenu par le scepticisme qu'il avait appris des Académies, "aux philosophes desquelles, néanmoins, parce qu'ils ignoraient le nom sauveur du Christ, je me refusais absolument à confier le soin de mon âme malade".

A Milan, le rejoignit sa mère, qui eut une puissante influence pour hâter ses derniers pas vers sa conversion. Elle était profondément catholique, et ses mentions d'elle sont toujours empreintes d'une grande révérence. Elle eut un rôle plus important auprès de lui, à cette époque, qu'Ambroise qui était trop occupé pour avoir des conversations privées avec Augustin.

Platon et les chrétiens

Il y a un chapitre très intéressant [dans les Confessions] dans lequel il compare la philosophie platonicienne avec la doctrine chrétienne. Le Seigneur, dit-il, à cette époque lui fournit "certains livres des Platoniciens, traduits du grec en latin. Et dedans je lus, pas avec les mêmes mots, mais avec le même esprit, soutenu de nombreuses et diverses manières que 'Au début était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu : la même chose était au début avec Dieu ; toutes les choses furent faites par Lui, et sans Lui rien ne fut fait : ce qu'Il fit est la vie, et la vie est la lumière des hommes, et la lumière brille dans l'obscurité, et l'obscurité ne la comprend pas' [encore des figures de style, jolies mais creuses -- inspirées de Saint Jean], mais Dieu, le Verbe de Dieu, 'est cette vraie lumière qui éclaire tout homme qui arrive dans ce monde'. Et que 'Il était dans le monde, et le monde avait été fait par Lui, et le monde ne Le connaissait pas." Mais que...

[marre de cette logorrhée * incantatoire, pseudo-intello, que j'ai subie toute ma jeunesse, et avec beaucoup de menaces tant que c'était possible si je n'y croyais pas... Je laisse la suite en anglais]

... He came unto His own, and His own received Him not; but as many as received Him, to them gave He power to become the sons of God, even to them that believe on His Name': this I read not there." He also did not read there that "The Word was made flesh, and dwelt among us"; nor that "He humbled Himself, and became obedient unto death, even the death of the Cross"; nor that "at the name of Jesus every knee should bow."

* Dans le cadre d'un trouble psychiatrique, des médicaments antipsychotiques ou anxiolytiques sont nécessaires, ainsi qu'un suivi régulier par un psychiatre. Dans le cas d'un trouble neurologique, la logorrhée est bien souvent chronique et ne peut être traitée complètement mais uniquement atténuée par les traitements.

Métaphysique du Logos, conversion, et combat contre les hérésies

En gros, il trouva chez les Platoniciens la doctrine métaphysique du Logos, mais pas la doctrine de l'Incarnation ni la doctrine qui en découle du salut des hommes. Quelque chose pas très différent de ces doctrines existait déjà dans l'Orphisme et les autres religions à mystère ; mais Saint Augustin semble l'avoir ignoré. Quoi qu'il en soit, aucune de ces doctrines n'étaient liées à un évènement historique relativement récent, comme l'était le christianisme.

En opposition aux Manichéens, qui étaient dualistes, Augustin en vint à penser que le mal trouvait son origine non dans une substance, mais dans une perversion de la volonté.

Il trouva beaucoup de réconfort dans les écrits de Saint Paul.

A la fin, après beaucoup de luttes passionnées entre les différentes parties de son esprit et de son corps, il se convertit (en 1386) ; il abandonna son poste de professeur, sa maîtresse [de Milan, après avoir déjà abandonné celle d'Hippone avec laquelle il avait vécu plusieurs années] et sa fiancée, et, après une brève période de retraite et de méditation, il fut baptisé par Saint Ambroise. Sa mère se réjouit, mais mourut peu après. En 388, il retourna en Afrique, où il vécût le reste de sa vie, absorbé complètement par ses charges épiscopales et par ses écrits controversés contre différentes hérésies, les Donatistes, les Manichéens, et les Pélagiens.

[Russell rend bien le triple caractère à la fois intelligent, torturé et dominateur d'Augustin, qui, quoi qu'il pensait, avait besoin de convaincre les autres de penser pareil. L'oppression que l'on ressent à l'étude de tels personnages gourous ressort bien. Augustin a réussi au-delà de ses espoirs les plus chimériques, étant devenu le docteur le plus important de toute la chrétienté. Après la Réforme cependant, ses doctrines furent critiquées par les catholiques et reprises par les protestants -- l'importance attachée au lien direct avec Dieu, plutôt que via l'Eglise. Saint Thomas d'Aquin, et Aristote, qui sont plus "petits profs" ratiocinateurs que les illuminés, Saint Augustin et Platon, conviennent mieux à l'organisation qu'est l'Eglise, pour qui il est important avant tout de contrôler ses membres.]