HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE, par Bertrand Russell, © 1945

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I.2.7 : LA COSMOGONIE DE PLATON

La cosmogonie de Platon est présentée dans le Timée, qui a été traduit en latin par Cicéron (-106, -43), et était, pour cette raison, le seul des dialogues de Platon connu en Occident [par opposition à Byzance*] durant le premier millénaire et au bas Moyen Âge jusqu'à la chute de Byzance.

Ainsi, au Moyen Âge et avant chez les Néoplatoniciens, ce dialogue eut plus d'influence que quoi que ce soit d'autre de Platon, ce qui est curieux, car il contient davantage d'inepties que ses autres écrits. Pour la philosophie il n'a pas d'importance, mais historiquement il a eu une telle influence qu'il nous faut néanmoins l'examiner en détail.

* et aussi par opposition au Moyen-Orient et à Alexandrie en Egypte (à vérifier pour ces deux derniers endroits -- mais ils étaient de toute façon surtout aristotéliciens)

Timée remplace maintenant Socrate

La place occupée par Socrate dans les dialogues précédents est prise, dans le Timée, par un Pythagoricien [l'astronome Timée] et les doctrines de cette école sont dans l'ensemble adoptées par Platon, y compris la vue que le nombre est ce qui explique le monde.

Il y a tout d'abord un résumé des cinq premiers livres de la République, puis le mythe de l'Atlantide, dont il est dit que c'était une île au large des Colonnes d'Hercule [= à l'ouest du détroit de Gibraltar], plus grande que la Libye et l'Asie réunies. Ensuite, Timée, qui est comme on vient de le dire un astronome pythagoricien, raconte l'histoire du monde jusqu'à la création de l'homme. Ce qu'il dit est résumé dans la section suivante.


Carte fantaisiste de l'Atlantide, par Athanasius Kircher (1665).

Résumé de l'histoire du monde racontée par Timée

Ce qui ne change pas est appréhendé par l'intelligence et la raison ; ce qui change est appréhendé par l'opinion. Le monde, faisant partie des choses sensibles, ne peut pas être éternel, et doit avoir été créé par Dieu. Etant donné que Dieu est bon [il faut sous doute entendre "bon" ("good") non pas dans le sens chrétien, mais dans le sens grec de "Ce qui est bien"], il a fait le monde d'après le modèle de ce qui est éternel ; étant sans jalousie, il voulait que tout soit autant que possible à son image. "Dieu désira que toutes choses soient bonnes, et que rien ne soit mauvais, autant que possible." "Découvrant que l'ensemble de la sphère visible n'était pas au repos, mais bougeait irrégulièrement et d'une façon désordonnée, à partir du désordre il produisit l'ordre." (Ainsi il apparaît que le Dieu de Platon, contrairement à celui des juifs et des chrétiens, n'a pas créé le monde à partir de rien, mais a mis de l'ordre dans un matériau pré-existant.)

[On est encore dans des descriptions d'inspiration mystique ; néanmoins ces descriptions pythagoriciennes (de cosmogonie) sont moins oppressantes que celles purement orphiques (de nature religieuse, sur l'existence ici-bas et là-haut, sur la pureté, sur le paradis, l'enfer et le purgatoire, etc.) de Socrate.]

Il mit son intelligence dans l'âme, et l'âme dans le corps. Il fit du monde globalement une créature vivante avec une âme et une intelligence. Il n'y a qu'un monde, pas plusieurs, contrairement à ce que divers présocratiques avaient enseigné ; il ne peut pas y en avoir plus d'un, puisqu'il s'agit d'une copie conçue pour être aussi proche que possible de l'original éternel appréhendé par Dieu. Le monde dans son entièreté est un animal visible, comprenant lui-même et les autres animaux [rôle prépondérant, d'origine bachique, des animaux]. C'est un globe, parce que c'est la forme la plus pure -- seul un globe est identique partout. [Il ne s'agit pas là de la terre, mais de l'ensemble de l'univers, je crois.] Il tourne, car le mouvement circulaire [confusion entre rotation et trajectoire circulaire] est le plus parfait ; et vu que c'est son seul mouvement il n'a besoin ni de pieds ni de mains.

Les quatre éléments, le feu, l'air, l'eau et la terre, chacun apparemment représenté par un nombre, sont dans une progression régulière, c'est-à-dire que le feu est à l'air, ce que l'air est à l'eau, et ce que l'eau est à la terre. Dieu a utilisé tous les quatre éléments pour faire le monde ; c'est pourquoi il est parfait, et n'est sujet ni au vieillissement ni à la maladie. Il est harmonisé par des proportions, ce qui a pour conséquence qu'il a un esprit d'amitié, et donc est indissoluble sauf par Dieu.

Dieu a d'abord fait l'âme, puis le corps. L'âme est une combinaison de l'indivisible-inchangeable et du divisible-changeable ; elle est une troisième et intermédiaire sorte d'essence.

A partir d'ici débute une description pythagoricienne des planètes, conduisant à une explication de l'origine du temps :

Quand le père et créateur a vu la créature qu'il avait créée se mettre en mouvement et vivre, comme l'image des dieux éternels, il se réjouit, et dans sa joie prit la décision de faire une copie encore plus proche de l'original ; et comme cet original était éternel, il chercha à faire un univers éternel, autant qu'il le pût. Maintenant la nature de l'être idéal était effectivement éternelle, mais attribuer cet attribut dans sa plénitude à une créature était impossible. C'est pourquoi il se résolut à avoir une image en mouvement de l'éternité, tandis que l'éternité elle-même demeure dans l'unité [i.e. immobile ?] ; et cette image nous l'appelons le temps. (Vaughan devait être en train de lire ce passage quand il écrivit le poème commençant pas "J'ai vu l'éternité l'autre nuit".)

Avant cela, il n'y avait ni jours ni nuits. De l'éternelle essence, nous ne devons pas dire qu'elle était ou qu'elle sera ; seul "est" est correct. Par implication, en ce qui concerne les "images mobiles de l'éternité", il est correct de dire que c'était ou que ce sera.

Le temps et les cieux se mirent à exister en même temps. Dieu créa le soleil afin que les animaux puissent apprendre l'arithmétique -- sans la succession des jours et des nuits, l'on peut supposer, on n'aurait pas pensé aux nombres. La vue du jour et de la nuit, des mois et des années, a engendré la connaissance du nombre et nous a donné la conception du temps, d'où s'ensuivit la philosophie. C'est le plus grand bienfait que nous devons à la vue.

Il y a (en dehors du monde dans son ensemble) quatre sortes d'animaux : les dieux, les oiseaux, les poissons et les animaux terrestres. Les dieux sont principalement du feu ; les étoiles fixes sont divines et des animaux éternels. Le Créateur dit aux dieux qu'il pouvait les détruire, mais qu'il ne le ferait pas. Il leur laissa le soin de faire des mortels une partie du monde animal, après qu'il en eut fait la partie immortelle et divine. (Ceci, comme les autres passages concernant les dieux chez Platon, ne doit peut-être pas être pris très au sérieux. Au début, Timée dit qu'il cherche des probabilités, et ne peut pas être sûr. Beaucoup de détails sont manifestement le fruit de l'imagination, et ne doivent pas être pris au pied de la lettre.)

Le Créateur, dit Timée, a fait une âme pour chaque étoile. Les âmes ont des sensations et des sentiments, elles éprouvent de l'amour, de la crainte et de la colère ; si elles surmontent ces sentiments, elles vivent vertueusement, mais sinon non. Si un homme vit bien, il va, après sa mort, vivre pour toujours dans le bonheur sur son étoile. Mais s'il vit mal, il sera, dans la vie suivante, une femme ; si il (ou elle) persiste dans sa malveillance, il (ou elle) deviendra une brute, et continuera ainsi ses transmigrations qu'à ce que la raison le rattrape enfin. Dieu plaça certaines âmes sur terre, d'autres sur la lune, d'autres encore sur d'autres planètes et sur les étoiles, et il laissa aux dieux le soin de donner une forme à leurs corps.

Il y a deux sortes de causes, celles qui sont intelligentes, et celles qui, étant mues par d'autres, à leur tour poussent d'autres encore. Les premières sont dotées d'un esprit, et sont ce qui accomplit les choses bonnes et justes, tandis que les secondes produisent des effets au hasard sans ordre ni dessein. Les deux sortes méritent d'être étudiées, les mécanismes du monde étant un mélange de nécessité [causale, ou en tout cas ne répondant pas à une intention, cf. infra] et d'esprit [i.e. d'intention]. (On notera que la nécessité n'est pas sujette à la puissance divine [i.e. même les dieux sont soumis à des causes].) Timée poursuit maintenant avec la partie provenant de la nécessité. Cornford (op. cit.) souligne que "la nécessité" ne doit pas être confondue avec la conception moderne du règne de la loi déterministe. Les choses qui arrivent "par nécessité" sont celles qui ne sont pas produites par une intention : elles sont chaotiques et ne sont pas sujettes à des lois.

La terre, l'air, le feu et l'eau ne sont pas les premiers principes, ou les premières lettres ou éléments ; ils ne sont pas même des syllabes ni des premiers composés. Le feu, par exemple, ne devrait pas être nommé ainsi ; Timée veut dire par là que ce n'est pas une substance mais que c'est l'état d'une substance. A ce moment-là, la question suivante est posée : les essences intelligentes sont-elles seulement des noms ? Il s'avère que la réponse, nous est-il dit, n'est pas la même selon que l'esprit est ou n'est pas la même chose que l'opinion. S'il ne l'est pas, la connaissance doit être la connaissance des essences ; par conséquent les essences ne peuvent pas être de simples noms. Maintenant l'esprit et la vraie opinion sont certainement deux choses différentes, car l'un est implanté par instruction, l'autre par persuasion ; l'un est accompagné par la vraie raison, l'autre ne l'est pas ; tous les hommes partagent les vraies opinions [i.e. sans doute les perceptions les plus factuelles et indiscutables], mais l'esprit est un attribut des dieux et de très rares hommes.

[Les philosophes du premier millénaire, du bas Moyen Âge, et certains encore après jusqu'à nos jours, se sont creusé la tête, avec une admiration teintée de vénération, pour savoir ce que Platon voulait dire. En fait, c'est un mélange de modélisation un peu délirante de la conscience raisonnante vs la conscience percevante, de divagations et de charabia.]

Cela conduit à une curieuse théorie de l'espace, comme quelque chose d'intermédiaire entre le monde des essences et le monde fugitif des choses sensibles.

Il y a une sorte d'être qui est toujours la même, ni créée ni destructible, ne recevant jamais rien de l'extérieur, ni n'allant vers l'extérieur, mais invisible et imperceptible par les sens, et dont la contemplation n'est accordée qu'à l'intelligence. Et il y a une autre nature du même nom, avec elle, et comme elle, perçue par les sens, créée, toujours en mouvement, apparaissant quelque part, puis disparaissant, qui est appréhendée par l'opinion et les sens.

[On se rappelle que dans la doctrine platonicienne, en gros, tout ce qui est appelé "opinion" est de la nature des perceptions sensibles provenant du monde extérieur ici-bas, et tout ce qui appelé "idée, raisonnement, intelligence, conviction, etc." est de la nature des réflexions dans l'esprit, et appartient, chez les philosophes détenant la sagesse, i.e. ayant eu une "vision de la vérité", au monde parfait platonicien d'en-haut. Et l'intelligence, au sens et dans l'esprit de Platon, est très supérieure à l'opinion. Elle nous rend proche des dieux. Les hommes aiment toujours bien qu'on leur dise que, dans certaines circonstances, et s'ils se plient à certaines injonctions de vie, alors ils sont proches des dieux :-) ]

Et il y a une troisième nature, qui est l'espace, et est éternel, ne peut pas être détruit et fournit un emplacement à toutes les choses créées, et est appréhendé sans le besoin des sens, par une sorte de raison, mais pas de celle qui donne accès au monde parfait platonicien, et qui est à peine réel ; [un peu d'amphigouri pour conclure] which we beholding as in a dream, say of all existence that it must of necessity be in some place and occupy a space, but that what is neither in heaven nor on earth has no existence.

Commentaires

C'est un passage très difficile, que je ne prétends pas comprendre parfaitement. La théorie exprimée doit, je pense, provenir de considérations sur la géométrie, qui semblait être une matière de pure raison, comme l'arithmétique, et cependant s'occupait de l'espace, qui était un aspect du monde sensible.

[Je ne partage pas le point de vue de R. selon lequel "la géométrie [serait] un aspect du monde sensible". Pour moi les perceptions provenant du monde sensible sont brutes de toute forme.

Toute forme, structure, organisation qu'on met dans nos percpetions, organisation géométrique ou autre, est une création de l'esprit humain, de son cerveau -- que la nature a créé de telle sorte qu'on fonctionne, ainsi que les mammifères et tout le reste.

En d'autres termes, l'univers n'a pas de forme sans un être pour le percevoir. Ce qu'est l'univers sans les hommes est une sorte de mystère, mais pas un mystère "divin", c'est juste qqc qu'on ne peut connaître ni comprendre. C'est comme les "autres univers" de l'hypothèse -- farfelue à mon sens -- des multivers.]

En général, c'est une erreur de chercher des analogies avec des philosophes des époques ultérieures, mais je ne peux m'empêcher de penser que Kant a dû aimer cette description de l'espace, car elle a des affinités avec la sienne.

Les vrais éléments du monde matériel, explique encore Timée, ne sont pas la terre, l'air, le feu et l'eau, mais deux sortes de triangles rectangles, l'un qui est la moitié d'un carré et l'autre qui est la moitié d'un triangle équilatéral. A l'origine tout était dans une grande confusion et "les divers éléments avaient des places différentes avant qu'ils ne soient réarrangés pour former l'univers".

Mais ensuite Dieu les a conçus avec des formes et des nombres [on est là dans la fascination Pythagoricienne pour la géométrie élémentaire et les nombres], et "les fit, autant que possible, les plus justes et les meilleurs, à partir de choses qui n'étaient ni justes ni bonnes".

Les deux sortes de triangles, nous est-il expliqué, sont les deux plus belles formes et par conséquent Dieu les a utilisées pour construire la matière.

[Bachelard a consacré son livre, "La formation de l'esprit scientifique", à recenser toutes les formes primaires et abusives de raisonnement pour décrire le monde, depuis l'Antiquité jusqu'au XVIIIe siècle : l'analogie, le substantialisme, le jeu de mot, l'animisme, etc. Ici nous avons un cas très ancien et particulièrement audacieux et péremptoire qui ressort essentiellement du charlatanisme : ces triangles sont "les formes les plus belles et les plus parfaites" (première affirmation sans fondement), Dieu ne travaille qu'avec des choses parfaites (2e affirmation), donc il a créé le monde avec ça (3e...), etc.]

A l'aide de ces deux triangles, il est possible de construire quatre des cinq polyèdres réguliers, et chaque atome de chacun des quatre éléments est un polyèdre régulier [d'après Timée]. Les atomes de terre sont des cubes ; de feu, des tétraèdres, d'air, des octaèdres ; et d'eau, des icosaèdres. (Je vais venir aux dodécaèdres dans un instant.)


Les cinq polyèdres réguliers

La théorie des polyèdres réguliers, qui est présentée dans le 13e livre d'Euclide (c. -325, c. -250), était, à l'époque de Platon (-428, -348), une découverte récente. Elle a été achevée par Théétète, qui apparaît en tant que très jeune homme, dans le dialogue de Platon qui porte son nom. C'est, d'après la tradition, lui qui a le premier prouvé qu'il n'y avait que cinq types de polyèdres réguliers, et découvrit l'octaèdre et l'icosaèdre (Sir Thomas Heath, Greek Mathematics, Vol. I, pp. 159, 162, 294-6). Le tétraèdre, l'octaèdre et l'icosaèdre réguliers, ont pour faces des trianges équilatéraux ; le dodécaèdre régulier a des pentagones, et ne peut donc pas être construit à l'aide des deux triangles de Platon. Pour cette raison, Platon ne l'utilise dans sa description théorique du rôle des quatre éléments.


Pentagramme

En ce qui concerne le dodécaèdre, Platon dit seulement "il y a encore une cinquième combinaison que Dieu a utilisée pour donner une forme au monde". C'est obscur, et suggère que l'univers est un dodécaèdre ; mais ailleurs, il est dit que c'est une sphère. Le pentagramme a toujours joué un rôle prépondérant en magie, et doit apparemment cette distinction aux Pythagoriciens, qui l'appelaient "la Santé" et l'utilisaient comme symbole de reconnaissance entre membres de leur fraternité. Il semble qu'il devait ses propriétés [magiques] au fait que le dodécaèdre a des pentagones pour faces, et est, en un certain sens, un symbole de l'univers. Ce sujet [de l'application de la géométrie pythagoricienne à la cosmogonie] est attrayant, mais il est difficile d'y formuler quoi que ce soit de sûr.

Après une discussion des sensations, Timée poursuit en expliquant les deux âmes de l'homme, l'une immortelle, créée par Dieu, l'autre mortelle, créée par les dieux. L'âme mortelle est "sujette à des affections terribles et irrésistibles, tout d'abord le plaisir, la plus grande force poussant vers le mal ; ensuite la peine, qui détourne du bien ; et aussi l'imprudence et la peur, deux folles conseillères, la colère difficile à apaiser, et l'espoir qui peut envoyer errer ; ces affections, les dieux les ont mélangées avec des sens irrationnels et avec un amour prêt à toutes les imprudences, selon les lois de la nécessité, et ainsi ont fait les hommes".

L'âme immortelle est dans la tête, la mortelle dans la poitrine.

Il y a une curieuse théorie de la physiologie, selon laquelle l'objectif de l'intestin est d'empêcher la gloutonnerie en gardant les aliments à l'intérieur [du ventre ?]. Il y a ensuite une autre description de la transmigration. Les hommes lâches et manquant de vertu seront, dans la vie suivante, des femmes. Les hommes innocents et à l'esprit simplet, qui pensent que l'astronomie peut être apprise en regardant les étoiles, sans connaissances mathématiques, seront des oiseaux ; ceux qui n'ont pas de philosophie deviendront des animaux terrestres ; et les plus stupides de tous deviendront des poissons.

Le dernier paragraphe résume le Timée :

Nous pouvons maintenant dire que notre discours sur la nature de l'univers a une fin. Le monde a reçu les animaux, les mortels et immortels, et est comblé par eux, et est devenu un animal contenant le visible -- le Dieu sensible qui est l'image de l'intellectuel, le plus grand, le meilleur, le plus juste, le plus parfait -- le ciel unique en son genre ["the one only-begotten heaven"].

Il est difficile de savoir quand il convient de prendre le Timée au sérieux, et quand ce n'est que de la fantaisie. Je pense que la description de la création comme l'apport d'un ordre dans le chaos doit être pris tout à fait au sérieux ; de même que la proportion entre les quatre éléments, et leur relation aux polyèdres réguliers et à leurs triangles constitutifs.

Les comptes-rendus du temps et de l'espace sont manifestement ce que croit Platon, de même que la vue selon laquelle le monde créé [= ici-bas] est une copie d'un archétype éternel. Le mélange de nécessité [au sens de ce qui doit arriver, pas nécessairement à cause de lois, mais parce que c'est ainsi, souvent par hasard] et d'intention dans le monde est une croyance commune à pratiquement tous les Grecs de l'Antiquité, qui est apparue bien avant l'essor de la philosophie ; Platon l'acceptait, évitant ainsi le problème du mal [ayant la liberté de l'homme pour origine], qui trouble tant la théologie chrétienne. Je pense que son monde-animal doit être pris au sérieux. Mais les détails de la transmigration, et de la partie attribuée aux dieux, et d'autres aspects secondaires, sont, je pense, là seulement pour donner un caractère concret aux explications.

Tout le dialogue, comme je l'ai dit, mérite d'être étudié car [il est le seul que connaissaient, de première main, les penseurs du premier millénaire et du bas Moyen Âge en Occident et] il a eu une grande influence sur la pensée antique et médiévale ; et cette influence n'est pas confinée à ce qui est le moins fantastique.