Note sur la dégradation des finances publiques françaises
par André Cabannes22 juin 2004
Un débat
économique a cours actuellement en France à la
suite de la dégradation des finances
publiques :
Allons-nous inéluctablement vers une politique
économique de rigueur ? Mon
point de vue est que non. Voici pourquoi.
Une politique
économique de rigueur n'est pas une option
pour les prochains gouvernements français, car elle
entraînerait des troubles
sociaux graves à court terme. Une politique économique de rigueur consiste
à augmenter les
impôts et à diminuer les dépenses de
l'Etat pour créer un surplus
budgétaire et réduire
peu à peu la dette de l'État qui à l'heure
actuelle se monte à près de 1 000
000 000 000 d’euros. Les dépenses de l'État sont
formées essentiellement des salaires
des fonctionnaires, des dépenses pour la protection sociale
et du service de la
dette. La fonction publique française est assez
revendicative (voir par exemple
l'Education nationale, la Poste, l’EDF ou la SNCF) et a un
fort pouvoir de
nuisance si on réduit ses revenus ou ses avantages acquis,
ou même si on ne
renouvelle pas les départs à la retraite. Quant
à la protection sociale elle
est déjà très déficitaire
(branche santé), et pourtant on observe une
pauvreté
qui ne diminue pas (cf.
entretien Le Monde/J.L. Borloo) et au contraire une précarité qui s'étend.
Des catégories sociales défavorisées
(ou se percevant comme telles) n'hésitent pas à
mener des
actions
revendicatives vigoureuses (par exemple les intermittents du
spectacle). Les
impôts ou plus généralement les
prélèvements par l'État sont
déjà
très élevés
en France, près de la moitié du produit
intérieur
brut.
Quelles sont les
alternatives ? Pour aborder cette
question regardons tout d'abord la nature de la dette
de l'État (et qui
la détient et ses
échéances).
L'État a émis pour mille milliards d'euros d'obligations de
toutes sortes. C'est-à-dire qu'il a reçu des
euros de la
part de personnes qui
ont acheté ses promesses (sous forme de bouts de papier avec
la
signature de
l'État, mais sans cours légal contrairement aux billets de
banque). Comme il ne
peut plus faire fonctionner la planche à billets, car elle
est
maintenant
contrôlée par Francfort, et qu'il ne peut plus
augmenter
les impôts, il ne peut
que vendre des promesses, et assurer que "les
générations
à venir vous rembourseront, vous ou vos
héritiers". On
notera que cette vente de promesses n'est pas très
différente de la planche à billets : c'est
presque une
forme de fabrication de
monnaie. Alors que va-t-il advenir de cette monnaie ? Eh bien il me
paraît
évident que comme toute monnaie inflationniste elle va se
dévaloriser.
Dans le temps, la
planche à billets (on appelait ça des
« avances de l’Institut
d’émission »), qui
créait de l'inflation, était
une façon "douce" de réduire les dettes des uns
et des autres et donc
de redistribuer la structure des rapports économiques et
sociaux entre les
différents acteurs. (Parfois ça a
consisté en une remise à zéro totale
des
compteurs, avec tous les troubles sociaux qui s’ensuivent,
cf. hyperinflation
allemande de 1923 et introduction en 1924 du nouveau reichsmark par le
Dr
Schacht.) Aujourd'hui cela n'est plus possible. Mais à mon
sens l'État devra
bien un jour plus très éloigné
reconnaître qu'il ne peut plus tenir ses promesses en
matière de paiement d'intérêt et de
remboursement avec des vrais euros de ses
obligations. Il a déjà d'une certaine
manière commencé dans
son conflit avec les intermittents du spectacle, et il a pour
l'instant perdu devant la justice. Mais ça ne
pourra pas se
reproduire : perdre
devant la justice ne change pas grand chose pour les
créanciers
quand le débiteur est en cessation
de paiement et qu'il n'y a pas d'actifs à liquider.
Aujourd'hui l'État
est devant le dilemme suivant : soit
imposer une politique économique de rigueur qui conduira
à de graves troubles
sociaux à court terme, soit ne pas tenir ses promesses financières. Le
moindre mal est sans
doute de ne pas tenir ses promesses financières, qui de
toute façon sont depuis
fort longtemps excessives. Et comme toutes les promesses excessives,
elles
n'engagent que ceux qui y croient.
Un dilemme comparable a opposé Turgot et Necker, juste avant
l'éclatement de la Révolution française...
Quelles seront les
conséquences de
cette deuxième option ?
Ce sera comme on l'a souvent observé dans l'Histoire la
réduction du patrimoine
financier (i.e. l'ensemble des promesses écrites, auxquelles
ils
ont cru, et qu'ils ont soigneusement rangées - comme les
emprunts russes - dans des chemises en carton dans leur
secrétaire) de ceux qui ont épargné,
et la perte
temporaire de crédit de l'État français.
("Temporaire",
car l'Histoire enseigne que les entités
souveraines
qui ont perdu leur crédit le regagnent rapidement, tellement
fort est le besoin de ceux qui ont de l'argent de le faire travailler.)
Comment cela se
passera-t-il ? Les détails techniques
importent peu. Les financiers inventeront des structures, genre CDR
pour le
Crédit Lyonnais, ou RFF pour la SNCF, pour y parquer les
mauvaises dettes de
l'État - des manipulations du même genre que la
« titrisation » qui
fait l’émerveillement des financiers
mais ne berne que les âmes simples.
Il faut noter que
l’État suivra aussi, par la force des
choses, la méthode financière habituelle pour
dévaloriser ses obligations qui
est tout simplement d’en émettre des nouvelles
avec la même maturité que les
précédentes qu’elles vont remplacer,
mais un taux d’intérêt plus fort.
(C’est
une forme de non-tenue de promesses.) Celles de deuxième
main voient alors leur
valeur mécaniquement baisser. Mais cette pratique ne dure
qu’un temps.
Prêtez-vous aux pays du Tiers-monde qui vous promettent des
taux de 30% ?
Ce que les acheteurs des titres de l’État français
à venir exigeront ce sont
des garanties beaucoup plus solides que simplement une promesse de taux
élevé.
Ce sera soit une indexation sur une mesure de pouvoir
d’achat, soit une
garantie sur des biens dont la valeur actuelle est indiscutable
– ce qui
revient au même que de ne plus faire de promesse, mais vendre
les bijoux de famille.
Par ailleurs,
simplement augmenter les taux de
rémunération des nouveaux emprunts (ce qui
dévalorise les anciens, tant qu’ils
sont échangés sur un marché) ne
réduit pas les remboursements à faire sur les
anciens, et au contraire augmente
les paiements
d’intérêt à faire sur les
nouveaux. Or
l’État va bientôt tout simplement être
à
court de liquidités - en cessation de paiement pour dire les
choses clairement
- et aura les plus grandes difficultés à
emprunter
normalement à quelque taux
que ce soit. Il faudra un plan sévère de remise
à
flots des finances de la
France d’une autre nature et ampleur que la
« politique de rigueur »
dont parlent les organismes de surveillance et les commentateurs.
Peut-être
inventera-t-on des « D.T.S.
européens »,
pour aider l’État français à
mettre de l’ordre dans ses finances,
c’est-à-dire
dans sa gestion, qui s’assimile
actuellement à de la cavalerie (et la gestion actuelle des
retraites à une chaîne
d’or), mais ce sera une mise de l’État
français sous
tutelle d’acteurs
économiques plus responsables et non français.
D’une
manière ou d’une autre l'État français
aura perdu
son crédit et ne pourra donc plus emprunter sans apporter
des garanties
beaucoup plus fortes. Cela aura pour conséquence
mécanique de rééquilibrer le
budget ; le premier poste réduit aura
été le service de la dette. Et la dette
elle-même aura été
considérablement réduite. Il est possible que
l’État
français, comme l’État argentin, fasse le tour de
ses créanciers en proposant
de racheter ses promesses à la moitié, ou au
quart de leur valeur. Bientôt nous
verrons des financiers audacieux (genre George Soros), mais surtout
avec un
peu plus d’informations précises que nous autres,
vendre à découvert des titres de l’État
français.
André
Cabannes
Quelques
sources :
Chiffres sur
l’économie française
http://www.insee.fr/fr/indicateur/cnat_annu/series.htm#sec
Situationscomparables dans d’autres pays
http://dowbor.org/02highinterestrates.asp